La détermination affichée par l’Autorité palestinienne et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) face à l’intransigeance israélienne et à la poursuite de la colonisation portera-t-elle enfin des effets concrets ? Il est de plus en plus difficile d’ignorer le drame humain qui se perpétue au Proche-Orient. Recevant à la fin février le président Mahmoud Abbas, le président Sarkozy reconnaissait que la situation au Proche-Orient est « d’autant plus incompréhensible et inacceptable que tout le monde connaît les termes d’un accord de paix définitif », incluant « deux États, avec Jérusalem pour capitale, un État palestinien dans les frontières de 1967, un échange de territoires, une discussion sur les réfugiés ». Une évidence que n’ignore aucun de ses collègues chefs d’Etat ou de gouvernement. La feuille de route élaborée en 2003 par le quartet (États-Unis, Russie, Union européenne et ONU) annonçait la création d’un État palestinien en 2005, avec des frontières provisoires avant l’établissement d’un statut définitif. Sept ans plus tard, on n’en est nulle part.
Le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, connu pour la violence de ses positions, déclarait récemment encore que « l’inquiétude des Palestiniens est le dernier de (ses) soucis ». Pour lui et son gouvernement, « l’important, c’est que (Israël) ne cède pas aux pressions. » et « surtout ne fasse aucun geste montrant une volonté de reprise des négociations de paix. »
Le même homme était fin février en visite à Bruxelles pour dorer la pilule et prendre le pouls de ses homologues de l’Union européenne. Plusieurs d’entre eux, font mine de vouloir rendre vie au processus de paix au Proche-Orient et ont redit leur refus de toute « modification du tracé des frontières d’avant 1967, y compris en ce qui concerne Jérusalem. »
Les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne ont condamné l’assassinat par les barbouzes israéliens d’un responsable palestinien du Hamas à Dubaï. Mais non sans ambiguïté. « Cette action ne peut pas contribuer à la paix et à la stabilité au Moyen-Orient » mais les « 27 » se sont abstenus d’en accuser formellement Israël. Dont le plénipotentiaire a réitéré la position de son gouvernement : « Rien ne prouve qu’Israël est impliqué ». Pourtant, Interpol a lancé un mandat d’arrêt contre les auteurs du meurtre, des membres du Mossad... Et le chef de la police de Dubaï, a plaidé que « c’est une affaire qui touche les pays européens ».
Fait accompli ?
Nabil Abou Roudeineh, le principal conseiller de Mahmoud Abbas, a tapé sur le clou : « le gouvernement israélien ne veut tenir compte d’aucune initiative, qu’elle soit américaine ou européenne (...) et dresse tous les obstacles afin qu’il n’y ait pas de reprise des négociations. La position d’Israël fait du tort à la paix dans la région (...) Nous espérons que, dans les prochaines semaines et les prochains mois, la communauté internationale bougera, que ce soit au Conseil de sécurité de l’ONU ou ailleurs, pour forcer Israël à accepter la légalité internationale. » [1]
Sur le terrain, la colonisation se poursuit. Au point de susciter la rogne de l’ancien directeur du Congrès juif mondial Henry Siegman qui, dans un appel à Barack Obama à ne pas capituler, a écrit : « Israël s’est employé sans relâche à créer un fait accompli en Cisjordanie occupée, et cette politique, qui se poursuit en violation du gel pourtant limité des implantations auquel s’est engagé le premier ministre Netanyahou, semble avoir réussi à rendre son projet de colonisation irréversible. »
Du point de vue israélien, les Palestiniens sont donc « invités » à négocier au départ d’un fait accompli, et ce d’autant que le 29 janvier M. Netanyahou n’avait laissé planer aucun doute sur ses intentions, expliquant que, dans le cadre d’un accord de paix, des colonies — il a cité celle d’Ariel — seront intégrées à Israël. Précisant : « Notre message est clair, en plantant un arbre ici, nous signifions que nous resterons ici ! ». Israël vient même d’ajouter à la liste de « l’héritage national » le tombeau des patriarches situé à Hébron, et la tombe de Rachel, à l’entrée de Bethléem, en Cisjordanie.
Double discours
Mais les leaders européens tiennent toujours un double discours. La Belgique, comme les autres Etats de l’UE, multiplie certes les déclarations de principe outragées. Mais tous considèrent l’Etat hébreu comme un « partenaire naturel » malgré les crimes de guerre et les atteintes aux droits de l’homme. Ils poursuivent la mise en place de l’intégration d’Israël dans structures de l’Union. Et continuent à pratiquer la « politique de l’équilibre », mettant sur un même plan occupants et occupés. Quand ils ne sont pas complices de l’Etat hébreu. Les membres de l’Union européenne ont refusé de soutenir ou pris leurs distances avec le rapport Goldstone accusant devant l’ONU l’armée israélienne et le Hamas palestinien de crimes de guerre lors de l’offensive dans la bande de Gaza. Comme l’explique le site de la Commission européenne, « l’UE et Israël se sont engagés dans un partenariat visant à instaurer des relations politiques étroites et des relations de commerce et d’investissement mutuellement bénéfiques, ainsi qu’une coopération dans les domaines économique, social, financier, civil, scientifique, technologique et culturel ». Le plan d’action « a pour but d’intégrer progressivement Israël dans les politiques et programmes européens ». Israël devrait recevoir, au cours des sept prochaines années, 14 millions d’euros au titre de la coopération financière de la communauté européenne. En outre, l’UE et Israël ont achevé leurs négociations sur la libéralisation du commerce des produits agricoles. Un autre accord sur la mise en place d’un cadre pour la certification des produits pharmaceutiques est annoncé. L’accord d’association signé en 1995 entre l’Union et Israël stipule pourtant en son article 2 que « les relations entre les parties (…) doivent être fondées sur le respect des droits de l’homme et le respect de la démocratie ». C’est là une clause qui semble avoir été introduite pour la forme et manifestement oubliée.
Paralysie arabe
L’Europe n’est pas la seule à jongler avec les faits. Lorsque Barack Obama est arrivé à la Maison-Blanche, beaucoup ont espéré un nouvel engagement des États-Unis au Moyen-Orient. Mais les changements tant attendus ne sont pas au rendez-vous. Si Bush était toujours en place au cours de la guerre contre Gaza, la nouvelle administration n’a guère été au-delà des déclarations d’intention, manifestant un manque de volonté politique et des divergences entre la Maison-Blanche et le département d’État. Au total, bien que n’ignorant pas que la résolution de la « question palestinienne » est une condition sine qua non pour toute paix globale dans la région, les États-Unis ne savent plus comment agir face aux fins de non-recevoir israéliennes.
Pour leur part, paralysés par leurs divergences entre régimes soumis à Washington et autres, les régimes arabes manifestent une lourde impuissance. On se souvient, par exemple, que le 20 janvier 2009, deux jours après l’arrêt des bombardements israéliens sur Gaza, les chefs d’État arabes se sont réunis … sans même parvenir à une déclaration commune. En mars, ils ont été incapables de se mettre d’accord sur l’aide à la reconstruction de Gaza. On peut constater la même paralysie un an après. Pis, même la décision égyptienne de construire un mur souterrain visant à renforcer le blocus israélien n’a pas soulevé la moindre indignation d’un quelconque État arabe. Et surfant sur l’émotion suscitée dans les opinions arabes par les atrocités israéliennes, les islamistes travaillent à asseoir leur influence dans le champ politique.
Au pied du mur
Les grandes capitales pourront-elle longtemps encore jouer avec les réalités ? L’Union européenne, principal bailleur de fonds dans la région, a les moyens d’alourdir la pression sur Israël en faveur d’un véritable processus de paix. Et ne manque pas d’arguments. « Les gouvernements britanniques et irlandais exigent d’Israël qu’il étiquette les produits des colonies. Veolia (un groupe français, ndlr) ; à qui son implication dans le tramway de Jérusalem a fait perdre des marchés juteux envisage de s’en retirer. La banque Dexia cesse de prêter aux colonies (sauf celles de Jérusalem). Le puissant Fonds souverain norvégien désinvestit d’une société chargée de l’électronique du mur. Le Fonds de pension danois PKA et la Danske Bank boycottent la colonisation », énumérait voici peu le site du Monde diplomatique [2].
D’autre part, la Cour européenne de justice a décidé le 24 février que des marchandises originaires des colonies israéliennes en Cisjordanie ne peuvent bénéficier du régime douanier préférentiel accordé par l’Union européenne à Israël. Un arrêt qui, portant indirectement sur la question très sensible de la colonisation israélienne, pourrait faire jurisprudence. Une manière aussi pour la Cour de reconnaître que le territoire israélien s’arrête aux frontières de 1967.
La dite « communauté internationale » pourrait bien devoir se mouiller rapidement. Le premier ministre palestinien, Salam Fayyad, a déclaré son intention de donner naissance à un État « dans les faits et sur le terrain » en 2011, quelle que soit l’avancée des discussions avec Israël. Cela dans les frontières d’avant la guerre israélo-arabe de juin 1967, les seules reconnues par la communauté internationale. La question d’une déclaration unilatérale revient ainsi à l’ordre du jour. « Si à la mi-2011, le processus politique n’a pas mis fin à l’occupation, j’ai fait le pari que l’état d’avancement des infrastructures et des institutions palestiniennes créera une telle pression qu’Israël sera contraint de renoncer à l’occupation », a répété Salma Fayyad. Un pari ?
« Selon la pratique internationale, on ne peut opposer des obstacles juridiques à une telle reconnaissance (...) Si la reconnaissance d’un Etat est un acte discrétionnaire de nature politique, il sera difficile pour nombre de pays européens, (…) de refuser la reconnaissance. On peut être assuré qu’une très large majorité des membres de l’assemblée générale de l’ONU reconnaîtra l’Etat palestinien. Les Etats-Unis, engagés dans un nouvel exercice de négociations, pourraient donner l’impression de s’opposer à cette perspective. Mais iront-ils jusqu’à opposer un veto au Conseil de sécurité, passage obligé pour l’admission d’un nouvel Etat à l’ONU ? » [3] se demandait dans les colonnes du Monde un diplomate français. Le jeu reste ouvert au Proche-Orient.
Où en est le rapport Goldstone ?
Le 5 novembre 2009, l’Assemblée générale de l’ONU votait une résolution dans laquelle elle approuvait les recommandations de la commission Goldstone (du nom de ce juge sud-africain, ancien recteur de l’université hébraïque de Jérusalem) sur le conflit à Gaza. Ce rapport relevait les crimes de guerre commis à la fois par Israël et le Hamas entre décembre 2008 et janvier 2009. La résolution était adoptée par 114 voix pour, 18 voix contre, et 44 abstentions, qui faisait dire au président de l’Assemblée générale, Ali Treki : « Ce vote est une déclaration importante contre l’impunité. C’est un appel en faveur de la justice. »
L’Assemblée générale demandait également au secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, de transmettre le rapport au Conseil de sécurité et appelait le gouvernement d’Israël et les Palestiniens à prendre les mesures appropriées dans les trois mois pour mener des enquêtes indépendantes. Faute de quoi, il s’agirait de saisir la Cour pénale internationale.
Pourtant, il se pourrait bien que le rapport Goldstone soit enterré. Responsables israéliens et du Hamas, par leur attitude, lui ôtent sa crédibilité. La création éventuelle d’une commission d’enquête interne en Israël, qui mettrait plusieurs mois à rendre ses conclusions, pourrait ajouter de la confusion.
Le secrétaire général Ban Ki-Moon devait le point à l’Assemblée avant le 5 février. Il est clair que les processus qui ont été initiés sont en cours et qu’en l’état, il est impossible de déterminer le degré de mise en œuvre de cette résolution », a reconnu son porte-parole.
M. Ban Ki-Moon a reçu de l’Autorité palestinienne un rapport préliminaire sur la façon dont elle prévoit d’enquêter sur la guerre à Gaza. Il a également reçu le 29 janvier un rapport officiel du gouvernement israélien. Celui-ci refuse toujours la création d’une commission d’enquête. Il est même allé jusqu’à vanter « l’indépendance et l’impartialité » du système judiciaire israélien et à assurer que son armée s’est conformée au droit international pendant son offensive. En jeu, notamment, les risques de condamnations internationales pour crimes de guerre, si la CPI est effectivement saisie, contre les dirigeants et responsables militaires israéliens. Paradoxe : Israël, qui assure avoir « l’armée la plus morale du monde » (sic), n’a pas hésité à plaider… une réécriture du droit international ! Jusqu’à présent, l’armée a tout juste infligé un « blâme » à deux officiers supérieurs pour des tirs d’obus au phosphore contre un bâtiment de l’ONU lors de l’offensive à Gaza, tirs dirigés vers une zone habitée.