Fin février, le mouvement international pour l’abolition universelle de la peine de mort, au sein de la coalition mondiale Ensemble contre la peine de mort (EPCM), a réuni son 4e congrès mondial à Genève. Ce sommet était organisé quelques jours avant la treizième session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
L’Union européenne joue, sur ce plan et c’est à son honneur, un rôle d’aiguillon dans la lutte pour l’abolitionnisme sur la terre entière. Le rejet de cette punition ultime constitue une condition préalable à toute adhésion. Prenant la parole à l’ouverture du congrès, M. Zapatero, le chef du gouvernement espagnol dont le pays assure la présidence tournante de l’UE, a invité les composantes du mouvement à Madrid pour leur prochain congrès en 2013. Il a surtout fait allusion à la mise en place, dès les prochains mois, d’une commission internationale pour un « moratoire universel de la peine de mort en 2015 au plus tard ». Un principe déjà voté par l’Assemblée générale de l’ONU mais qui ne revêt, hélas, aucun caractère contraignant…
Ce quatrième congrès, destiné « aux échanges, à la définition de stratégies pour l’abolition. Dans sa résolution finale, le mouvement abolitionniste insiste sur le rôle essentiel de l’éducation et de l’information, tant de l’opinion que des juristes et des politiques, comme arme contre la « barbarie » : la peine de mort « ne peut en aucun cas être considérée comme une réponse appropriée aux violences et aux tensions qui traversent nos sociétés ». Dès lors, il est du devoir des États abolitionnistes d’« intégrer l’enjeu de l’abolition universelle dans leurs relations internationales en en faisant un axe majeur de leur politique internationale de promotion des droits de l’homme ».
Depuis le 3e Congrès du mouvement, qui s’était tenu à Paris en 2007, un certain nombre des résultats ont été enregistrés. Par exemple, à deux reprises, plus de 100 pays ont voté devant l’Assemblée générale des Nations unies en faveur d’un moratoire immédiat et universel des exécutions ; de nouvelles coalitions régionales contre la peine de mort ont vu le jour et la Coalition mondiale compte aujourd’hui 104 membres.
Reste que les pays abolitionnistes restent minoritaires et que le combat reste à mener pour davantage de transparence dans l’application de la peine capitale et la réduction du nombre de crimes passibles de la peine de mort.
On tue en masse
Dans le monde, plus de 20 000 personnes attendent dans le couloir de la mort. Les débats à Genève ont rappelé que les condamnations à la peine capitale sont souvent politiquement ou socialement instrumentalisées, que ce soit au nom de la religion, de la sécurité intérieure ou de la justice, par des systèmes autoritaires (Iran, Chine, Arabie saoudite, Pakistan…), ou même encore des démocraties comme les États-Unis… On sait moins que, dans la grande majorité des cas, ce sont des sans-grades, des pauvres et des opposants qui sont condamnés. En masse.
La Chine présente le sinistre record du plus grand nombre de condamnations avec plus de 1 700 exécutions répertoriées par Amnesty International en 2008, et 7 000 condamnations à mort prononcées, majoritairement pour des crimes ou du trafic de drogue. Les choses évoluent toutefois. La Cour suprême chinoise appelle désormais les tribunaux du pays à « réserver » la peine capitale aux crimes « extrêmement sérieux ».
En 2008, 346 Iraniens ont été tués contre 317 en 2007, selon Amnesty International. Après l’élection présidentielle contestée de juin 2009 et les manifestations de rue, au moins 69 personnes ont été tuées ou sont portées disparues, selon le Comité de la vérification des disparus et des exécutés, faisant de la peine capitale un instrument de répression politique.
Au Moyen-Orient, depuis le rétablissement de la peine capitale, en août 2004, l’Irak occupé a procédé à au moins 1 000 exécutions. Près de 1 000 Irakiens croupissent dans les couloirs de la mort.
Gagner l’opinion ?
On pourrait allonger cette liste sinistre. L’association Ensemble contre la peine de mort a recensé des statistiques parlantes (www.abolition.fr). Selon Amnesty International, le monde arabe aligne 21 % des exécutions dans le monde (un pays membres de la Ligue Arabe est abolitionniste, Djibouti). Si certains sont sur la voie du moratoire ou abolitionnistes de fait, Taghreed Jaber, directrice pour le monde arabe à Penal Reform International, explique que « le principal obstacle à l’abolition est la mauvaise interprétation de la charia islamique ». Comment favoriser l’abolition au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ? Directeur du bureau régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’Amnesty International, Ahmed Karaoud rappelle que la lutte contre la peine de mort va de pair avec la lutte pour des procès plus équitables.
Autre chiffre impressionnant, au moins 76 % des exécutions dans le monde ont lieu en Asie. Même si, selon Bikramjeet Batra, avocat indien pour Amnesty International, « la tendance asiatique est vers l’abolition ». Batra précise néanmoins que le territoire asiatique est grand et manque d’homogénéité. Mais nombre de chercheurs notent un aspect à prendre en compte : l’adhésion populaire à la peine de mort. Ce dont jouent bien des régimes. A Taïwan, selon de récentes statistiques, 74% de la population est favorable à la peine capitale. Comme le souligne Bhatara Ibnu Reza, coordinateur des recherches sur les droits humains pour l’association Imparsial, « lors des élections de 2008, le gouvernement a essayé d’attirer les votes en exécutant les gens ». Si, pour lui, il n’y a pas de lien entre la question de la religion (l’Indonésie est le pays à la plus forte population musulmane du monde) et des exécutions, la tentation politique est réelle : « Le gouvernement qui veut plaider pour la peine de mort en utilisant le prétexte islamique pour avoir les faveurs du public est ce qu’il y a de pire. »
Et les démocraties ?
Le premier pays du monde à abolir la peine de mort fut le Venezuela. Pourtant, la région caraïbe représenterait aujourd’hui 5 % des exécutions mondiales. Pour Juan Matos de Juan, président du Comité contre la peine de mort du barreau de Porto Rico, plusieurs facteurs expliquent cette tendance : la politique de sévérité contre le crime, le soutien politique et public à la peine de mort et l’influence américaine dans la politique régionale. La région, très pauvre, a le taux de criminalité le plus élevé de la planète. Selon Piers Bannister, coordinateur peine de mort pour Amnesty International : « Les politiciens, pour endiguer la criminalité disent ‘On va pendre les gens’ et la population est enthousiaste.
Mais deux démocraties développées ne sont pas en reste et côtoient d’autres « grands exécuteurs » comme l’Iran, l’Arabie saoudite, le Pakistan... Aux États-Unis, la peine de mort a été à nouveau appliquée en 1977 mettant fin à un moratoire qui avait établi dix années plus tôt. Les Etats ont la main. 38 d’entre eux (sur 50) la prévoient dans leurs textes de loi. Au niveau fédéral, elle a été rétablie en 1988. 3 700 personnes sont actuellement en attente d’exécution, souvent pour meurtre aggravé. À la mi-2008, les États-Unis avaient exécuté 1 100 personnes depuis 1976.
Au Japon, la condamnation à mort reste prévue. Elle est appliquée seulement pour homicide. Mais le gouvernement nippon reste fort discret sur le sujet. Il y aurait 15 exécutions en 2008, et 27 condamnations à mort. Une centaine de condamnés « attendent » leur exécution.
« C’est possible »
À Genève, en partenariat avec la Coalition mondiale contre la peine de mort, l’accent a été mise sur « l’ouverture à la société civile, la première en ligne de mire dans les pays rétentionnistes (qui prévoient la peine de mort dans la loi et l’appliquent. ndlr) », principalement en Asie, au Grand et au Proche-Orient, ainsi qu’aux États-Unis et au Japon. Un optimisme démesuré ? « Il y a trente ans, deux tiers de l’humanité, des pays, étaient rétentionnistes ; aujourd’hui, c’est exactement l’inverse », a rappelé un des organisateurs. Effectivement, cent quarante et un pays dans le monde ne recourent plus à la peine capitale. Au début des années 1970, seuls 23 pays avaient aboli la peine capitale. Ils sont aujourd’hui 103 à l’avoir abolie en toutes circonstances. 38 autres l’ont abolie en temps de paix ou l’ont abolie de fait. Un bilan positif qui rappelle aussi le chemin qui reste à parcourir.
« Le Congrès mondial contre la peine de mort n’est pas un quelconque rassemblement mais une mobilisation ambitieuse et pragmatique au service d’un objectif atteignable. Car un monde sans exécution capitale est possible » a affirmé la ministre des Affaires étrangère helvétique, Micheline Calmy-Rey. Ce qui implique de soutenir les mouvements actifs dans les pays où se pratique toujours ce « châtiment barbare ». Mais aussi d’éviter un retour en arrière dans les pays abolitionnistes.
« Malgré la décennie de la guerre en Irak et contre le terrorisme, la peine de mort a reculé » a relevé le coordinateur de la Campagne pour un moratoire universel, Mario Marazziti, qui cite l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, mais aussi le Gabon, le Togo, comme d’autres pays africains. « Aux Etats-Unis, en deux ans, le New Jersey et le Nouveau-Mexique - la Côte est et la Côte ouest -, ont brisé le front et ont aboli la peine capitale (…) L’Asie bouge : les Philippines ont à nouveau emprunté la voie abolitionniste ; le président de la Mongolie a inauguré cette année la voie de l’abolition. Taïwan a arrêté depuis des années les exécutions. On note des ouvertures en Corée du Sud et même en Iran, bien que le nombre des exécutions augmente et que celles-ci soient publiques. Au Japon, l’année passée a été la première sans exécution capitale. En Inde, un débat existe au niveau de la Cour suprême ; il en est de même au Pakistan, avec 7 000 sentences capitales stoppées.
L’Algérie, la Tunisie, le Liban et la Jordanie peuvent accélérer le changement dans la région méditerranéenne. Le Maroc a mis fin, en pratique, aux exécutions. » [1]
Que fera Obama ?
Selon l’avocat Robert Bryan, même aux États-Unis les choses bougent. « Treize États ne pratiquent plus ce châtiment capital (…) L’opinion doit savoir que c’est un châtiment non seulement barbare mais socialement le plus souvent extrêmement injuste pour lequel une erreur, qui arrive plus souvent qu’on ne le croit, ne peut être réparée. » Pour autant, « aucun homme politique des États-Unis visant une carrière nationale ne s’opposera directement à la peine de mort pour l’instant. Et Obama est un véritable animal politique… Il n’a jamais rien dit contre ce châtiment. Reste qu’après les dérives de Bush, la société américaine est en train de changer : les gens deviennent davantage conscients des droits de l’homme. Si nous réussissons à créer un mouvement d’opinion, cela forcera Obama à se manifester… » [2].
Mumia, plus que jamais en danger
De nombreux condamnés sont innocents ou leur culpabilité est douteuse. C’est, aux Etats-Unis, le cas de Mumia Abu-Jamal, journaliste et écrivain, dans le couloir de la mort de Pennsylvanie depuis près de trente ans. « Il n’a jamais été autant en danger depuis son arrestation. S’il vous plaît, aidez-nous ! » C’est en ces termes que son défenseur principal, Robert Bryan conclut l’appel au président Obama qu’il a lancé à l’occasion du Congrès mondial.
L’évêque sud-africain et prix Nobel de la paix Desmond Tutu, l’écrivain allemand et Nobel de littérature Günter Grass, Danielle Mitterrand, le philosophe et linguiste américain Noam Chomski et des élus au Parlement européen ont été parmi les premiers à signer cet appel.
Depuis 1982, Mumia survit… Le 19 janvier encore, la Cour suprême des États-Unis a renvoyé l’affaire Mumia Abu-Jamal devant la cour d’appel fédérale de Philadelphie qui, en 2008, avait suspendu la condamnation à mort. Autrement dit, la Cour suprême demande à la justice de Pennsylvanie de faire le sale boulot à sa place. Le ministère public, au nom du gouvernement de Pennsylvanie, n’a eu de cesse d’exiger la mise à mort de Mumia.
Pourtant, de nombreuses preuves et témoignage le disculpent. La Constitution des États-Unis garantit à tout citoyen américain le droit à un nouveau procès dès lors que des faits de racisme ont entaché le processus à l’origine de la condamnation. La quasi-totalité des jurés noirs avaient été récusés par le juge en charge du procès en 1982. Soit la cour d’appel fédérale confirmera la peine de mort, soit elle résistera à l’injonction de la Cour suprême en décidant de commuer la peine en prison à perpétuité.
Pourquoi cet acharnement de la police et des autorités de Pennsylvanie ? Journaliste de radio, Mumia, surnommé « la voix des sans-voix » combattait notamment la corruption de la police et des dirigeants politiques locaux. Licencié, il a dû travailler comme taxi de nuit.
Blessé le 9 décembre 1981 dans une fusillade alors qu’il venait de déposer un client, il a été accusé du meurtre d’un policier, Daniel Faulkner, tué dans cette bagarre. Malgré une enquête surréaliste, des témoins menacés ou payés, des rapports de police farfelus, ce militant gênant, un « coupable idéal », est condamné en juillet 1982. Pourtant en juin 1999, un ancien tueur à gages a avoué à l’une des avocates de Mumia avoir tué l’officier Faulkner dans le cadre d’un contrat mêlant police et mafia. Des aveux jamais pris en compte au prétexte qu’ils étaient venus « hors des délais de la procédure ».
L’affaire est emblématique. En 2001, le premier Congrès du mouvement abolitionniste s’était ouvert sur une intervention audio de Mumia dénonçant les conditions de vie inhumaines du couloir de la mort et en appelant à l’abolition universelle de la peine de mort. À Genève, il s’est une nouvelle fois adressé aux congressistes par téléphone. Dans la « plus grande démocratie du monde » 3 000 condamnés attendent leur sort dans le couloir de la mort.