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Obama superstar. Mais encore ? Premier bilan

par Maurice Magis, mai 2009

Le président américain multiplie les gestes d’ouverture et les annonces flamboyantes. Non sans risquer de se contredire. Le premier bilan de sa présidence n’est pas aisé à faire.

Obama superstar. Mais encore ? Premier bilan
Analyse parue dans le N° 356 du Journal du mardi, 5 mai 2009.

Qu’attendre d’Obama. Les avis sont aussi multiples que nuancés. Et souvent prudents, voire perplexes. L’essayiste et philosophe français Régis Debray résumait ainsi à la mi-avril le sentiment de beaucoup : « Il est toujours bon que l’empire américain n’ait pas à sa tête l’idiot du village global (…) Mais n’oublions pas que c’est un empire (…) Cette adulation d’Obama est parfois comique pour des sociétés laïques qui ne s’étonnent même pas que notre nouvel empereur ait prêté serment sur la Bible (…) pour être bien sûr de maintenir le « One nation under God » [1].

Mais au-delà de la double croyance entretenue entre la mission messianique des Etats-Unis et sa vocation proclamée à assumer à tout prix le leadership mondial, comment peser les éléments de rupture opérés par le nouveau président en un premier bilan ?

Sur le plan intérieur, on peut dire qu’il promet plus de larmes et de sang qu’un chemin parsemé de feuilles de roses. Et pour cause. On l’a dit et répété, la première puissance économique mondiale connaît une crise redoutable. Dans une sorte de discours-programme prononcé à la mi-avril à Washington, Obama a confirmé à ses compatriotes que « les temps seront durs, que nous ne sommes en aucun cas tirés d’affaire », que de nouvelles suppressions massives d’emplois, de nouvelles saisies immobilières sont inévitables. Les géants de l’industrie automobile restent menacés de faillite malgré des milliards de fonds publics dont ils ont été arrosés. Et le gouvernement exige d’eux de nouvelles restructurations socialement douloureuses avant de leur concéder de nouvelles rallonges.

Comme pour faire passer la pilule, le président a dit entrevoir « pour la « première fois des lueurs d’espoir », et parlé, à la manière de Roosevelt, d’une « new foundation », une refondation de l’économie américaine afin qu’une crise financière comme celle qui a engendré la récession actuelle « ne se reproduise pas ». Et, comme désormais convenu dans les discours des principaux pays capitalistes, il y est allé d’une tirade sur les excès de la financiarisation ; « Une économie dans laquelle 40 % des bénéfices sont issus du secteur financier (alors que) le revenu familial régresse n’est pas durable. »

Mais encore ? Réglementer les marchés financiers si le Congrès est d’accord. Relancer un système éducatif à la dérive. Favoriser les énergies nouvelles. Mais, dans le même temps, raboter drastiquement les dépenses publiques, notamment dans le secteur de la santé. Favoriser l’épargne privée. Telles sont les grandes lignes d’un plan de relance qui ne manque pas de contradictions. Et dont Obama admet qu’il ne portera pas d’effets « en un an, pas même en plusieurs années. » Reste qu’il doit rendre des comptes à ceux qui l’ont élu. « Est-ce parce qu’il a senti monter dans l’opinion un début de grogne ? Il a dit « comprendre » ces réticences devant les aides massives au secteur bancaire, qu’il a cependant justifiées. De même a-t-il répondu aux critiques venues de droite et de gauche. Les premières lui reprochent de dilapider l’argent public et de creuser les déficits (….) Les secondes jugent l’investissement public « trop timide » (un terme utilisé par le Prix Nobel Paul Krugman) et reprochent à l’administration de ne pas oser « fâcher » Wall Street (…) Le professeur Obama rappelait que l’Amérique reste l’empire de l’initiative privée et qu’un politique doit tenir compte des mentalités dominantes. » a justement commenté Le Monde [2].

Un budget militaire costaud

Dans un récent opus, Guy Spitaels, l’ancien président du PS met en garde. Selon lui, les Européens se bercent d’illusions à propos du nouveau locataire de la Maison-Blanche et affirme qu’ « Obama n’est pas l’archange de la paix ! Au plan interne, il porte un programme économique, fiscal et social qui n’a rien à voir avec celui de la gauche européenne. Il reste sous l’emprise des firmes qui ont largement financé sa campagne. Enfin, il est sous la pression du Pentagone, bien décidé à préserver la position dominante des Etats-Unis. » [3] L’administration Obama a annoncé une rallonge de 84 milliards de dollars au budget de l’armée, résultat de l’augmentation de l’effort de guerre pour l’Afghanistan

Voyons les faits. On a fait grand cas des gestes d’ouverture, à haute valeur symbolique, vis-à-vis de Cuba. A la veille du sommet des Amériques qui s’est tenu les 17 et 18 avril, juste avant d’entamer, au Mexique, son premier tour de piste diplomatique en Amérique latine, le président des États-Unis, Barack Obama, a demandé d’alléger une série de mesures restrictives à l’encontre de La Havane. Ainsi, doivent être levées les restrictions à la possibilité pour les cubano-étatsuniens de rendre visite à des membres de leur famille à Cuba et de leur envoyer de l’argent. Un réajustement par rapport aux sanctions établies en mai 2004, sous la présidence de George W. Bush, qui, à l’époque, avaient soulevé la colère des résidents cubains, principalement en Floride, fief de l’anticastrisme.

Les mesures annoncées ne changent toutefois pas la nature du blocus imposé unilatéralement en 1962 par les États-Unis à l’encontre de Cuba. Ils ne mettent pas non plus en question les décisions qui ont renforcé l’embargo, comme les lois Helms Burton, Torricelli, mises en place sous les administrations du démocrate Bill Clinton. L’ancien président Fidel Castro a donc pu souligner que « du blocus, qui est la plus cruelle des mesures, on n’a pas dit un mot ». Il a toutefois voulu souligner « la sincérité (d’Obama) et sa volonté de changer la politique et l’image des États-Unis »,

Obama a aussi voulu lancer un signal politique aux chefs d’État latino-américains pour tenter de rétablir la crédibilité d’une administration washingtonienne discréditée par Bush. Le projet de créer d’une zone de libre-échange des Amériques (reliant le Canada à la Terre de Feu), est au point mort alors qu’elle devait voir le jour en 2005. Enfin, la reconfiguration politique à l’œuvre sur le continent depuis dix ans, un glissement général à gauche, a eu raison de l’isolement dans lequel Washington avait plongé Cuba. Le Mexique ou encore le Costa Rica, dont on ne peut accuser les gouvernements d’être subversifs, ont renoué des relations avec la Grande Île. En décembre 2008, le Groupe de Rio, l’organisation politique par excellence du sous-continent, a fait de Cuba son invitée d’honneur, en condamnant fermement les sanctions qui pénalisent La Havane depuis un demi-siècle.

L’empire à visage humain

Nous l’avons dit, les Etats-Unis d’Obama n’en ont pas pour autant abandonné leur volonté de leadership sur le monde. On a pu le vérifier lors de la visite du président en Europe, même s’il a rompu avec la stupide arrogance de son prédécesseur. Pour autant, l’ambition à étendre les prérogatives de l’hyperpuissance demeure intacte. Certains commentateurs ont cru pouvoir écrire que les leaders européens ont manifesté leur autonomie sur tel ou tel point. Voire. Lors du G 20 à Londres comme au sommet de l’OTAN, les grands dirigeants de la planète se sont mobilisés pour voler au secours d’un système capitaliste dominé par Washington. Ils se sont entendus pour déverser plus de 1 000 milliards de dollars pour une relance pleinement conforme aux désirs exprimés préalablement par les pays anglo-saxons.

Les malheureux gages sur la régulation des paradis fiscaux et du monde de la finance ne doivent pas tromper. Pas plus que la pseudo-résistance de la France ou de l’Allemagne. Conformément à la volonté de Washington, la mutation d’une OTAN, volet militaro-sécuritaire du plan de sauvetage du capitalisme élaboré à Londres est sur les rails. La France réintègre pleinement l’Alliance. L’Europe, et au sein de celle-ci la Belgique, va prendre une plus grande part pour soutenir les USA en Afghanistan, une des cibles militaires prioritaires des États-Unis. Et la défense européenne ne se conçoit que dans cette logique « en complémentarité avec l’OTAN », ont répété tous les dirigeants de l’Union Européenne.

On ne s’en cache, il s’agit de rétablir le « leadership américain », à l’unisson avec le nouveau président. Même si celui-ci, habilement, y met des gants : « Je ne suis pas là pour dicter des conditions mais pour écouter, apprendre et éventuellement donner une direction. »

Des propos ambivalents

L’annonce des changements d’orientation de la politique internationale américaine conforte cette ambition. Le retrait d’Irak ? Il ne concerne que « les forces combattantes » et prévoit le maintien de bases américaines entre le Tigre et l’Euphrate. Le rapprochement avec Moscou ? Le volonté de reprise de pourparlers autour de la réduction des arsenaux nucléaires, le souhait, formulé à Prague, de débarrasser, à terme, la planète des armes atomiques ? De belles intentions, porteuses d’une vraie inflexion en faveur de la paix, contredites cependant, au même moment, par la confirmation de la mise en place du bouclier antimissiles sur les frontières orientales de l’UE. Elles se révèlent aussi très ambivalentes quand sont brandis simultanément « l’ouverture, le dialogue » et la menace de sanctions, voire de nouvelles interventions militaires.

La promesse de « sortir de l’Afghanistan » est ainsi associée à l’envoi sur le terrain de 26 000 hommes supplémentaires (21 000 dépêchés directement par les États-Unis et 5 000 par leurs alliés de l’OTAN) en dépit du fiasco des surenchères militaires successives pratiquées depuis 2001. Surtout elle est explicitement reliée à la montée en puissance des bombardements et autres opérations déjà engagés sur le Pakistan voisin, sous couvert de poursuivre « des éléments d’al Qaeda ». Et cela est d’autant plus préoccupant que l’évolution de la diplomatie états-unienne sur le Proche-Orient se fait toujours attendre.

Quant à l’ébauche de rapprochement avec Moscou il vise aussi d’évidence à poursuivre la politique de confinement (containment) de la Chine. Au risque d’aggraver des tensions déjà perceptibles entre les deux puissances, notamment à propos de la domination du dollar, avant le G20.

Mais le risque majeur de cette nouvelle stratégie réside d’abord dans les objectifs mêmes fixés par le G20 : serrer les rangs de la planète sous l’hégémonie confortée des États-Unis pour sauver le capitalisme. Les plans dits de relance orchestrés, au niveau national et international, souffrent en effet d’un défaut majeur : ils volent au secours de la rentabilité financière sans se pré-occuper vraiment d’investir dans l’emploi, la formation, le développement du Sud. Comme si l’on pouvait soigner le krach en relançant la spéculation. Le retour de bâton pourrait bien toucher très vite et dans son propre pays un Barack Obama confronté à une hausse vertigineuse du chômage et de la précarité (630 000 demandeurs d’emplois supplémentaires en mars).

Il reste que Barack Obama a fait signe à l’Iran, renoncé en paroles à la croisade de Bush contre « l’axe du mal », appelé à la coopération dans le monde au détriment des politiques de force, répété qu’il n’était pas en guerre contre l’islam. Il s’agit de déclarations positives et elles sont à prendre en compte. Dans la même foulée, il choie la Turquie, son gendarme armé au Proche-Orient, confirmant ainsi une des constantes de la géostratégie américaine. A Ankara, il fut question de « La menace terroriste, la guerre en Afghanistan, les relations avec l’Iran et l’objectif partagé d’une paix durable entre Israël et ses voisins. » La Turquie est en effet un des seuls États de la région à reconnaître Israël. Elle possède également la deuxième armée de l’OTAN.

En retour, les Turcs, eux, souhaitent voir avancer plusieurs dossiers comme l’adhésion à l’Union européenne (UE). Sur ce point, Barack Obama a répondu aux attentes d’Ankara, prenant de cours les dirigeants français et allemand Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Au cours du déjeuner avec les Vingt-Sept, à l’occasion du sommet UE- États-Unis, Barack Obama s’est déclaré favorable à ce que la Turquie rejoigne l’Union Européenne. Une proposition qui a suscité l’opposition d’autres dirigeants européens, mais qui semble aussi être une contrepartie à Ankara.

Au total, la politique de Barack Obama semble rompre avec celle de ceux qui l’ont précédé. Mais il n’en reste pas moins le président d’États-Unis peu décidés à abdiquer leur suprématie ancestrale. En affichant le gant de velours plutôt que le poing de fer.


Obama dans le texte

LONDRES, G20 « Vous savez, à la maison, j’ai souvent parlé d’une nouvelle ère de responsabilité. Et je crois fortement que cette ère ne doit pas s’arrêter à nos frontières. »

STRASBOURG, OTAN « Pendant des années, nous avons manqué de ressources en Afghanistan pour parvenir à nos buts. (…) Un effort supplémentaire est nécessaire. Celui-ci ne peut être le fait des seuls États-Unis. »
« Nos troupes sont très motivées pour protéger les États-Unis, comme les troupes de l’OTAN sont très motivées pour protéger leurs propres pays et les alliés de l’OTAN collectivement. Donc, nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour encourager et promouvoir le règne de la loi, les droits de l’homme, l’éducation des femmes et des filles en Afghanistan, le développement économique, le développement des infrastructures, mais je veux aussi dire que les gens comprennent que la première raison pour laquelle nous sommes là-bas est de déraciner al Qaeda, pour qu’il ne puisse plus attaquer des membres de l’alliance. »

PRAGUE « Pour promouvoir notre sécurité commune, nous devons renforcer notre alliance. L’OTAN a été fondée il y a soixante ans, après que le communisme se fut emparé de la Tchécoslovaquie. C’était quand le monde libre a appris trop tard qu’il ne pouvait se permettre la division. »

« Les missiles balistiques et nucléaires de l’Iran sont une véritable menace, non seulement pour les États-Unis, mais pour les voisins de l’Iran et pour nos alliés. La République tchèque et la Pologne ont été courageuses d’accepter de recevoir une défense contre ces missiles. Aussi longtemps que la menace de l’Iran persiste, nous entendons poursuivre avec le système de défense antimissiles. »

[1« Aujourd’hui, l’Occident, c’est l’Amérique ». Le Soir du 15 avril 2009.

[2« Barak Obama fixe les cinq pistes à suivre pour « refonder » l’économie américaine. Le Monde du 15 avril 2009.

[3Guy SPITAELS, « Obama, président. La méprise » Editions Luc Pire.



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