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L’Europe et les trois petits singes

par Maurice Magis, mai 2009

Bien des commentateurs s‘accordent à le constater : la campagne électorale est d’une formidable atonie. La campagne pour les régionales se limite essentiellement à passer en revue les coalitions possibles. Les engagements programmatiques passent largement au bleu aux yeux de dirigeants obnubilés par les calculs tactiques et les sondages d’opinion. Les batailles d’égo le disputent à une personnalisation à outrance.

Mais ces constats se vérifient surtout en ce qui concerne les élections européennes. Comme s’il s’agissait là d’un enjeu secondaire. Comme si le scrutin était un exercice obligé, un moment plutôt ennuyeux à passer que l’on souhaiterait avoir le plus vite derrière soi. Les enjeux ? Les conséquences des politiques de l’Union sur les choix de gestions de l’Etat fédéral, des régions et des communes ? Le sens même de la construction européenne au moment où la crise systémique que subit le monde globalisé s’aggrave ? Peanuts…

Devant ces questions essentielles, s’articulent deux types de réponses. Les « grands » partis, dit traditionnels, ne semblent rien voir, rien entendre, ni disent rien. Ou si peu. Ils ont adopté le comportement autiste des trois petits singes de la fable. Cette attitude ne serait-elle pas liée au fait que l’ambition des éléments programmatiques qu’ils proposent est inversement proportionnelle à la gravité de la situation actuelle ? D’autre part, une série de partis qui se disent de la « gauche radicale » rêvent d’en finir avec un processus européen qu’ils voient génétiquement et définitivement soumis aux exigences du capital. Et donc une fois pour toute hors de portée de l’intervention des peuples. La messe serait dite. Telle n’est pas notre position. Mais il faut bien admettre, au vu des traités successifs, qu’il y aurait de quoi douter de la pertinence même de tout projet commun pour notre continent.

Comment nier que l’Europe, telle qu’elle va aujourd’hui, se construit dans l’imposture ? Etymologiquement, le mot « aristocratie » signifie « pouvoir des meilleurs ». « Forme de gouvernement où le pouvoir souverain appartient à un petit nombre de personnes » précise le dictionnaire Robert. Dans leur prétention à décider seuls de ce qui est bon pour les peuples, les élites européennes se prendraient-elles pour les successeurs des nobles d’autrefois ? Des nobles « éclairés », certes, qui se disent volontiers soucieux du bonheur des citoyens. Mais à condition que ceux-ci, présupposés incapables de prendre leur destin en main, restent à leur place, bien loin de lieux de décision toujours plus opaques, toujours plus lointains. Le traité modifié de Lisbonne qui a pris le relais du traité constitutionnel ? Circulez, il n’y a rien à voir… Dans les derniers soubresauts d’un ancien régime agonisant, Louis XVI, roi de France, s’était vu attribuer le sobriquet de M. Veto, refusant obstinément d’entendre les exigences qui montaient du peuple. Une conduite qui semble inspirer les leaders des 27 Etats de l’Union européenne.

La démocratie bafouée

Liberté d’information, droit de vote. Ces deux conquêtes démocratiques garanties par la loi, sont aujourd’hui bafouées. Le traité de Lisbonne, « modifié » parce que le projet de traité constitutionnel avait été rejeté par les citoyens consultés, a été élaboré en secret. Les 27 chefs d’Etat et de gouvernement ont de fait décidé d’opposer leur veto aux droits à l’information et à la consultation populaire. Un coup de force, peut-être légal mais politiquement inacceptable. C’est Nicolas Sarkozy qui a été le plus clair : les élus et les citoyens qui réclament des référendums n’ont « aucune chance » de l’obtenir. Et de taper sur le clou : « Il n’y aura pas de traité si un référendum a lieu en France, qui serait suivi par un référendum au Royaume-Uni ». D’ailleurs, « la même chose (un vote négatif) se produirait dans tous les Etats-membres si un référendum y était organisé. » L’élitisme se marie décidément bien mal avec une démocratie où le suffrage universel est de plus en plus vidé de sa substance.

Comment ne pas partager les doutes d’Alexandre Defossez, assistant à l’Institut d’études juridiques européennes de l’Université de Liège, lorsqu’il doutait voici quelques mois « que ce traité apporte une solution au problème majeur révélé par l’échec de la défunte Constitution » car « L’Union demeure dans l’esprit de nombre de ses citoyens (...), un objet politique non identifié, aux objectifs uniquement économiques, un projet pour lequel il est difficile de s’enthousiasmer.

Le nouveau traité est d’évidence un clone difforme de feu le Traité constitutionnel européen, blackboulé par les Français et les Néerlandais et qu’il s’est agi d’habiller de nouveaux oripeaux. En fin connaisseur, Valéry Giscard d’Estaing l’avait admis sans état d’âme : « Les gouvernements européens se sont mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler. » En Belgique, nos gouvernants ont préféré regarder ailleurs.

Effectivement, on y retrouve, parmi bien d’autres choses, la fameuse « concurrence libre et non faussée » qui met les peuples et les Etats en concurrence, la confirmation de la toute puissance de la Commission européenne au détriment des élus, le statut intouchable de la Banque Centrale Européenne, le démantèlement des services publics au nom des règles concurrentielles… Avec la directive « services », applicable au 1er janvier prochain, l’achèvement du marché intérieur des services devrait être bouclé. Santé, habitat, éducation, services à la personne… ? Assimilés à des activités économiques et donc à la merci du marché !

Les Etats membres se sont lancés dans une course de vitesse pour boucler au plus vite le processus de ratification par les Parlements. Pour que les citoyens européens puissent voter en connaissance de cause aux élections européennes de 2009, a expliqué sans rire le président de l’euro-parlement sortant, Hans-Gert Pöttering. Le « non » irlandais a mis, à son tour, quelques kilos de sable dans la machine ? L’Irlande, un des pays les plus touchés par l’effondrement économique et ses conséquences, est priée de revoter…

Des traités obsolètes

Les Européens regardent avec méfiance ou désintérêt les circonvolutions de l’UE. Comment pourrait-il en aller autrement quand ils restent sur la grève et que le vaisseau Europe navigue sans boussole ? Malgré cela, nous sommes Européens. Par profonde conviction. Mais nous sommes tout aussi délibérément attachés à l’idée qu’il est urgent de donner une autre direction à la construction européenne. Avec des millions de femmes et d’hommes de notre continent, nous affirmons qu’une autre Europe est possible et nécessaire. Nous prétendons ainsi nous situer dans une modernité utile, nous prônons une véritable rénovation par rapport aux vieilles recettes qui nous sont servies encore et encore, aux certitudes des libéraux de tous bords que l’aggravation de la crise systémique que nous traversons semble n’émouvoir que médiocrement. Cela, alors même que les dogmes libéraux, certes aussi absurdes qu’injustes, volent en éclat dès lors qu’il s’agit de voler au secours des financiers. Oubliés les équilibres budgétaires, la maîtrise de la dette publique. Et que devient la concurrence libre et non faussée quand fleurissent les mesures protectionnistes ? Quid des aides publiques, entraves à la concurrence ? Mais du même coup, ce sont les traités eux-mêmes qui sont rendus obsolètes. Cette situation crée des bases concrètes pour parler d’alternatives aux échecs de la construction européenne actuelle.

Depuis trente ans, les lois d’airain du capitalisme de « marché, libre et sans entraves » ont exercé leurs ravages. Elles ont été théorisées en 1989 dans le « consensus de Washington » qui a donné au modèle économique ultralibéral ses tables de la loi. Dérégulation, privatisation, monétarisme, réduction des dépenses publiques sont devenues autant d’obligation, hors desquelles il n’était point de salut.

En Europe, le principe de la « concurrence libre et non faussée », au cœur des différents traités, n’a pas d’autre origine. Le traité de Maastricht, le pacte de stabilité, le traité de Lisbonne se sont situés dans la ligne. La stratégie de Lisbonne, en 2000, censée faire de l’Union européenne la région la plus compétitive du monde, n’envisageait cette stratégie que comme un nouvel acte de soumission au marché, par l’accélération des politiques libérales et le désengagement des Etats.

Obstinément, la Banque centrale européenne, en gardienne du temple, a prôné libéralisation des services, modération salariale et flexibilité comme remèdes pour en sortir.

Les grands prêtres du dieu Finance n’ont jamais caché qu’il s’agissait aussi de mettre l’économie à l’abri des l’interventions des élus et des organisations de travailleurs, tous présupposés aussi démagogues qu’incompétents. La démocratie est ainsi appelée à se vider de tout contenu. Le défunt traité de Lisbonne ne stipulait-il pas que « Ni la Banque Centrale Européenne, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter, ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l’Union, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme » ?

Pire que cela, l’étape à venir, c’est la création d’un grand marché unique euro-nord-américain. Une zone économique sans barrière. En juin 2006, l’europarlement avait majoritairement appelé les dirigeants de l’Union Européenne à accélérer le mouvement afin que soit « parachevé le marché transatlantique d’ici à 2015. » En clair, cette « zone transatlantique de libre échange » vise à démanteler les barrières commerciales et douanières, l’année 2010 étant avancée en ce qui concerne les marchés des services financiers et des capitaux. L’avenir des peuples européens et états-uniens passerait donc par une nouvelle accélération des réformes ultralibérales.

Pour les adversaires de ce projet, il s’agit bien de donner le coup de grâce aux législations et réglementations européennes qui entravent l’activité des firmes multinationales, tant dans le domaine social que sanitaire, éducatif ou environnemental, en matière de droit du travail ou de services publics. Et là encore, le méfait se perpètre dans l’ombre.

Changer d’Europe

La situation dramatique d’aujourd’hui ridiculise pourtant les dogmes ultralibéraux imposés aux peuples depuis plusieurs décennies. Et voilà que les dirigeants européens, véritables pompiers pyromanes, fustigent les « dérives du capitalisme financier » dans une pathétique tentative de faire oublier leur activisme en faveur de la dérégulation et de choix politiques tournés vers ce même capitalisme financier. Tartufferie !

Face à un tel aveuglement, les élections européennes de juin prochain offrent une chance de changer d’Europe. Elles peuvent faire entendre la voix des peuples. Faire entendre une autre musique que celle d’une Europe des marchés, d’une Europe otanienne, d’une Europe forteresse. L’Europe est au cœur d’enjeux essentiels. La crise ? La construction libérale de l’Europe en est pour une bonne part responsable.

Et pourtant, rien n’est fatal. Une proposition de directive sur l’aménagement du temps de travail, présentée par la Commission et adoptée par les ministres de l’Emploi, en juin 2008, prévoyait la possibilité pour certains États de contourner la norme européenne, à savoir une durée de travail hebdomadaire limitée … à 48 heures [1]. Le texte faisait explicitement référence à une durée de travail allant jusqu’à 60 heures, et même jusqu’à 65 heures. Le Parlement s’y est majoritairement opposé voici quelques semaines, suivant ainsi l’argumentation du groupe de la Gauche unitaire européenne. Ce qui signifie que les rapports de forces ne sont pas figés.

Au-delà du scrutin, et face au manque criant de légitimité populaire de la construction actuelle et des dogmes libéraux, toutes les forces progressistes devraient se mobiliser pour porter la proposition d’un nouveau traité fondateur élaboré dans un vaste débat public et citoyen. Partout en Europe, des partis progressistes, communistes, socialistes ancrés à gauche, se mobilisent pour changer d’Europe. De l’Espagne à Chypre, de l’Allemagne au Portugal, de l’Italie à l’Irlande, le Parti de la gauche européenne et ses 400 000 membres travaille à une alternative ambitieuse, ouverte aux syndicats, aux associations, aux femmes et aux hommes qui s’engagent sur le terrain de la construction d’une autre Europe. Avec les 29 partis membres du PGE ou observateurs, nous avons cosigné une plate-forme électorale commune. Pour une Europe sociale, démocratique, écologiste, féministe et pacifiste. Notre Europe, l’Europe des peuples se conjugue au futur.

[1L’Espagne et la Grèce avaient voté contre. La Belgique, Chypre, la Hongrie, Malte et le Portugal s’étaient abstenus.



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