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Iran : on a voté. Et puis après ?

par Maurice Magis, juillet 2009

La communauté internationale, entendez les « grandes capitales », a depuis des années les yeux tournés vers l’Iran. Au cœur de cette attention, la question nucléaire. Mais c’est pourtant autour des problèmes intérieurs que s’est joué essentiellement le scrutin qui a porté une nouvelle fois Mahmoud Ahmadinejad à la présidence. De cela, il est fort peu question dans les médias occidentaux dont l’immense majorité s’est indignée des fraudes qui auraient faussé l’élection. Fraudes dont il est — et sera — bien difficile de mesurer l’ampleur.

Iran : on a voté. Et puis après ?

On a pu juger, par écrans de télévision interposés, de l’importance des protestations de masse dans les rues de Téhéran et des autres grandes villes du pays. Selon plusieurs sources, des dizaines de milliers d’opposants ont été arrêtés. Et comme on s’y attendait, le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, le plus haut responsable du pays, a entériné sans l’ombre d’un doute les résultats du 12 juin, affirmant que « le président a été élu avec 24 millions de voix ». Faussement ingénu, devant une foule immense — composée des Gardiens de la révolution, de bassidjis (une force islamiste paramilitaire), d’étudiants en théologie mais aussi de simples citoyens —, il s’est interrogé en ces termes : « Les mécanismes de notre pays ne permettent pas de tricher avec une marge de 11 millions (celle séparant Mahmoud Ahmadinejad de son principal rival Mir Hossein Moussavi) ». Pour lui, « l’élection a témoigné de la confiance du peuple dans le régime » islamique, grâce à une participation exceptionnelle de 85 %. » Plus énigmatique, il a laissé échapper : « Je vois certains hommes plus aptes à servir le pays que d’autres. Mais le peuple a fait son choix. »

Le cadre étant ainsi défini « Les responsables politiques qui ont une influence sur le peuple devraient faire très attention à leur comportement, s’ils agissent de façon extrémiste, cet extrémisme atteindra un point de non-retour. (…) Ils seront responsables pour le sang, la violence et le chaos. ». En clair, le Guide menaçait d’un durcissement de la répression. Mais il sait également qu’Ahmadinejad, ce président qui « a refusé de porter un costume, de changer de domicile » comme l’a rappelé le Guardian britannique au lendemain de l’élection, celui, aussi qui apprécie les provocations antisémites, qui n’a fait qu’accentuer une répression brutale dans son pays, multipliant les condamnations à mort, écrasant les libertés et les droits de l’homme sur son passage, que cet homme s’y entend pour avoir l’oreille d’une bonne partie de la population.

Le grand ayatollah Hossein Ali Montazeri, dont le rang est parmi les plus élevés dans le clergé chiite iranien, opposant de longue date, placé en résidence surveillée à la fin des années 1990 pour avoir prôné la séparation
de la religion et de l’Etat, a averti que « si le peuple iranien ne peut pas revendiquer ses droits légitimes dans des manifestations pacifiques et est réprimé, la montée de la frustration pourrait détruire les fondations de n’importe quel gouvernement, aussi fort soit-il ». L’ayatollah Montazeri avait déjà dénoncé la réélection du président Ahmadinejad et manifesté sa défiance envers le régime et le Guide suprême.

Quelle « pureté » ?

Comme l’a noté l’ethnologue Jean-Pierre Digard, spécialiste du monde iranien, « je ne comprends pas ceux qui laissaient entendre qu’il pouvait y avoir un résultat autre que celui-là. » Evoquant « un effet de zoom exagéré, produit par les médias (occidentaux) », il affirmait que « d’un point de vue iranien, Ahmadinejad n’est pas du tout un conservateur, c’est un révolutionnaire. S’il a été élu, c’est parce qu’il incarnait aux yeux de ses électeurs le retour à une certaine pureté — illusoire, d’accord —, à la révolution trahie par ses opposants. De même, il est totalement erroné de présenter Moussavi et les autres candidats comme réformateurs. Ce sont eux aussi des gens du sérail. Moussavi aurait été élu, on n’aurait vu que des différences à la marge, mais sûrement pas un renouvellement complet. »
Tous les candidats se situaient en effet clairement dans le cadre de la République islamique et ne le contestent pas. « Les rivaux de M. Ahmadinejad sont tous des fils fidèles de la révolution qui ont servi la République : M. Moussavi comme Premier ministre ; M. Karoubi, président du Parlement ; M. Rezaï, chef des Gardiens de la révolution. Leur nationalisme sans faille ne les fera pas renoncer au nucléaire civil » [1]

Pour le prix Nobel de la paix iranienne Shirin Ebadi, « les gens ne s’intéressent pas à d’éventuels différends au sein du pouvoir. Ce n’est pas leur problème. » Alors ? Selon le sociologue américain James Petras, « de manière générale, Ahmadinejad a fait de très bons scores dans les provinces pétrolifères dotées d’industries chimiques. Cela peut être un reflet de l’opposition des travailleurs de la pétrochimie à un programme « réformiste », qui comportait des propositions de « privatisations » d’entreprises publiques. » Et « de la même manière, le président élu a eu de très bons résultats dans toutes les provinces frontalières, en raison de son insistance sur le renforcement de la sécurité nationale contre les menaces américaines et israéliennes, (…) L’immense majorité des électeurs du président actuel ont probablement eu le sentiment que les intérêts de leur sécurité nationale, l’intégrité du pays et le système de sécurité sociale, en dépit de tous ses défauts et de ses excès, seraient mieux
défendus et améliorés avec Ahmadinejad au pouvoir, qu’avec de jeunes technocrates des classes aisées, soutenus par l’Occident. »

Populisme et clientélisme

« Pour les pauvres, le changement, cela signifie avoir à manger et avoir du travail ; ça n’est une question ni de code vestimentaire branché, ni de récréations mixtes… En Iran, la politique a énormément plus à voir avec la lutte des classes qu’avec la religion » analysait la presse de la City londonienne le 15 juin [2]. Et la situation économique de l’Iran n’est pas bonne : forte inflation, chômage de masse, accroissement des inégalités sociales, malgré les promesses d’Ahmadinejad. Pourtant réélu. « Ahmadinejad a poursuivi une politique très clientéliste dans le sens où il a clairement favorisé les groupes sociaux qui lui sont fidèles comme les pasdarans. Il a fait de nombreux déplacements en province, où il distribuait vraiment des chèques et de l’argent liquide. Les gens venaient le voir, présentaient leurs doléances et ils recevaient directement de l’argent de l’État iranien » [3] explique Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques.

Clairement populiste, le président sait jouer du nationalisme iranien pour faire oublier ses échecs économiques. Durant la campagne, il a violemment attaqué les corrompus et ceux qu’il accuse de brader le pays à l’Occident en la personne d’Hachémi Rafsandjani, un de ses prédécesseurs. Celui qui, à l’aube des années 1990, a privilégié le tournant ultralibéral au prix d’une forte croissance de la pauvreté et d’un enrichissement forcené de la nomenklatura et des groupes capitalistes. Mais les choses peuvent-elles changer ? « Aujourd’hui ça continue avec l’enrichissement d’une petite partie (de la classe moyenne). On dit qu’on gagne en rial (la monnaie iranienne) et qu’on dépense en dollars, ce qui veut dire que les salaires stagnent mais que les prix ne cessent d’augmenter. L’économie iranienne n’est basée que sur la rente pétrolière. (Avec le chute des cours) le gouvernement parle de réduire les subsides à destination des ménages (les subventions sur les produits de consommation courante NDLR. » observe Marie Dadier-Fouladi, sociologue, auteure de « lran : un monde de paradoxes » (Ed. Atalante, mai 2009)

Et le nucléaire ?

Et la question nucléaire ? Rien de neuf pour l’heure. « Les gens sont sensibles parce qu’ils subissent les sanctions (mais) le débat n’a tout simplement pas eu lieu. Les Iraniens ne connaissent ni les enjeux de cette question, ni les objectifs du gouvernement. Ils ne savent pas pourquoi l’Iran doit se doter de la technologie pour l’enrichissement nucléaire et ni pourquoi ce serait si important qu’il faille faire des sacrifices pour cela. Pour mobiliser il faut débattre, discuter sur la scène publique. En 2006, une partie des journalistes, des experts, ont commencé à en débattre en posant la question du prix à payer pour se doter du nucléaire. Ca a duré trois ou quatre jours, ça pouvait aller très loin. Mais Ahmadinejad a décidé de clore le débat… »

Malgré sa réélection, qui n’est pas de bonne augure pour le peuple iranien, on attend de la nouvelle administration américaine et des Européens qu’ils privilégient le dialogue afin d’apaiser les tensions et d’agir collectivement pour la sécurité internationale, le désarmement et la non-prolifération nucléaire. Au total, les grands absents des débats sont les acteurs du mouvement social iranien. On en parle peu.

Les conflits sociaux éclatent pourtant un peu partout. Les dirigeants de ces mouvements sont souvent emprisonnés. « Laissez-nous espérer qu’avec le nouveau gouvernement nous n’aurons pas de prisonniers politiques et que la fin de la discrimination contre les femmes ne sera pas juste un espoir », a lancé Zahra Rahnavard, l’épouse de Moussavi. Un vrai changement, en effet.

Un Etat dans l’Etat

« Si les Gardiens de la révolution (les pasdarans) n’existaient pas, le pays n’aurait jamais existé », déclarait son fondateur, l’ayatollah Khomeiny. Remarquable par sa stabilité, le corps des pasdarans n’a connu que trois chefs : de 1981 à 1997, il a été dirigé par Mohsen Rezaï, le candidat malheureux à la récente élection présidentielle, de 1997 à 2007 par Rahim Safavi, et depuis septembre 2007, par Mohamed Ali Jafari. Ayant préséance sur l’armée régulière, ce corps d’élite (180 000 hommes) comprend des unités terrestres, navales et aériennes, et des unités de commandos spécialisés. Il dispose également d’un service de renseignements. Ce bras armé du régime islamique a son mot à dire sur la marche du pays : les postes clés du gouvernement — intérieur, défense, énergie, étranger, commerce —, ainsi que les principaux postes diplomatiques sont détenus par des hommes issus des pasdarans. Les pasdarans coiffent des dizaines d’entreprises agissant dans tous les domaines. En l’espace de quelques années, ils sont passés de la maîtrise d’oeuvre - construction et réparations d’ouvrages détruits durant la guerre - à la conception et à la réalisation. Il en est ainsi de l’industrie militaire dont, entre autres, la fabrication de missiles de longue portée, des hydrocarbures, la construction des ports, la téléphonie mobile, les banques, l’agroalimentaire et, depuis quelques années, l’énergie nucléaire. Mieux, dans les contrats de partenariat signés avec des firmes étrangères figure toujours une clause de formation et de transfert de technologie. En bref, les pasdarans sont un complexe militaro-industriel et financier, un État dans l’État. C’est la troisième puissance économique iranienne réalisant un chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars par an.

[1« Une référendum pour contre Mahmoud Ahmadinejad ». Le Monde du 16 juin 2009.

[2Le Financial Times du 15 juin 2009.

[3« Les options du régime resteront les mêmes ». L’Humanité du 12 juin 2009.



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