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Haute tension dans l’Est asiatique : que veut la Corée du Nord ?

par Maurice Magis, juillet 2009

Pyongyang a affirmé qu’elle n’abandonnera jamais son programme nucléaire. Le 12 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU avait décidé une nouvelle série de sanctions contre la Corée du Nord. Le président Kim Jong-il ferait étalage de ses armes pour tenter de contrer une montée du mécontentement social. Il s’agirait également de montrer ses muscles pour négocier en position de force un traité de paix avec les Etats-Unis. Jeu dangereux.

Haute tension dans l’Est asiatique : que veut la Corée du Nord ?

Inquiétant bras de fer. Après de longues palabres, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé d’alourdir les sanctions contre la Corée du Nord en réponse à son essai nucléaire du 25 mai. La résolution 1874 instaure un système renforcé d’inspection des cargaisons aériennes, maritimes et terrestres à destination ou en provenance de Corée du Nord, y compris en haute mer, et un élargissement de l’embargo sur les armes. Elle prévoit aussi l’alourdissement des sanctions financières contre Pyongyang, déjà sous le coup de sanctions prévues par la résolution 1718 du Conseil, adoptée en octobre 2006 après un premier essai nucléaire.

Rédigée par les États-Unis, la résolution a été négociée âprement avec les autres membres permanents du Conseil dotés du droit de veto (Chine, France, Grande-Bretagne, Russie), le Japon et la Corée du Sud. Jusqu’ici hostiles au renforcement des sanctions, la Chine, qui avait appelé à une réaction « équilibrée » et « pondérée », et la Russie ont voté en faveur du texte qui ne fait pas état de dispositions prévoyant un recours à la force. Un haut responsable militaire chinois a appelé la communauté internationale au calme vis-à-vis des activités nucléaires de la Corée du Nord, lors d’une conférence régionale sur la sécurité à Singapour. « La péninsule coréenne devrait se diriger vers la dénucléarisation et nous espérons que toutes les parties concernées garderont la tête froide et répondrons de manière mesurée au problème », a déclaré le lieutenant général chinois Ma Xiotian.

La décision de l’ONU n’a pas semblé impressionner le pouvoir nord-coréen qui multiplie invectives et provocations depuis des mois. Celui-ci a réagi en annonçant qu’il allait procéder à l’enrichissement d’uranium et utiliser son plutonium à des fins militaires. En outre, tout blocus sera assimilé à un acte de guerre, a également averti Pyongyang.

Pourquoi la Corée du Nord joue-t-elle ainsi avec le feu ? Pourquoi cette volonté de faire remonter les tensions dans l’Est asiatique ?

Un accord secret

Début avril, le chef de l’Etat, M. Kim Jong-il, s’était bruyamment réjoui du lancement d’une fusée officiellement destinée à mettre sur orbite un satellite de communication. Mais selon des sources notamment sud-coréennes et russes, aucun satellite n’a été mis en orbite. En outre, la Corée du Nord s’était engagée en février 2007 à « suspendre toutes les activités liées à son programme de missiles balistiques ». Fin mai, elle a donc confirmé avoir procédé à un essai nucléaire souterrain et testé des missiles à courte portée. Selon l’agence de presse officielle KCNA, « l’essai va contribuer à garantir notre souveraineté, le socialisme, la paix et la sécurité sur la péninsule coréenne et dans la région ». Curieux mélange des genres pour une dangereuse escalade. En octobre 2006, Pyongyang avait procédé à un premier essai nucléaire. Précédemment encore, en juillet 2006, le pouvoir nord-coréen avait « salué » la fête nationale américaine en tirant sept missiles, dont un de longue portée et quelques fusées de moyenne portée. Pourtant, quelques mois plus tard, un accord de dénucléarisation était signée entre le président américain George Bush et Kim Jong-Il. Un accord « négocié secrètement (…) au cours de contacts directs à Pékin et à Berlin, puis présenté lors des pourparlers multilatéraux à six (deux Corées, Chine, Etats-Unis, Japon et Russie) sur le programme nucléaire nord-coréen, instaurés il y a deux ans. Les résultats obtenus sont impressionnants : mise sous scellés puis démantèlement des réacteurs à plutonium de la RPDC ; levée progressive des sanctions et des embargos imposés par Washington depuis la seconde guerre mondiale ; suppression de la RPDC de la liste des « Etats voyous » dressée par le département d’Etat américain ; réadmission en Corée du Nord des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ; évolution vers un accord de paix mettant fin à la guerre de Corée — et ce dans la perspective d’une normalisation complète des relations. »

Puis le processus s’est enlisé, les États-Unis exigeant des mesures de vérification du démantèlement qui, selon Pyongyang, vont au-delà des termes de l’accord. C’est cet accord qui vient d’être dénoncé par la Corée du Nord.

Bras de fer

Dans les années 1990, Bill Clinton avait accepté le principe que la Corée du Nord renonce à son programme et à ses missiles nucléaires, en échange d’une nouvelle relation avec les États-Unis et d’une aide économique et énergétique. Puis vint George W. Bush qui balaya l’accord. La Corée du Nord réagit en se retirant du traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Pourquoi donc aujourd’hui encore un tel bras de fer entre Pyongyang et Washington ? Alors que le régime nord-coréen vit certainement une phase cruciale de son histoire intérieure, alors que le pays aborde la succession difficile de son dirigeant, Kim Jong-il, son voisin du sud a changé de stratégie. Rompant avec la posture ouverte de son prédécesseur, le président sud-coréen Lee Myung-bak, régulièrement qualifié de « traître » par le Nord, élu en décembre 2007, privilégie une politique de confrontation et a trouvé en cela l’appui de Tokyo. Engagé dans une stratégie de réarmement, le Japon mise sur l’existence d’un « ennemi héréditaire » pour justifier la remilitarisation nipponne.

En effectuant au début du printemps sa première tournée à l’étranger à Tokyo et Séoul, la nouvelle secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, a appuyé cette politique de défiance à l’égard de Pyongyang. Retournait-on à la case départ dans les difficiles négociations américano-nord-coréennes ? Deux ans après l’annonce de l’accord sur le nucléaire nord-coréen, le processus est dans l’impasse.

L’escalade verbale va de pair avec les actes martiaux. Fin mai, Pyongyang a fait savoir qu’il considérait la décision de Séoul, de se joindre à l’initiative d’anti-prolifération (PSI) comme « une déclaration de guerre ». « Notre armée ne sera plus liée par l’accord d’armistice de 1953 », poursuivait le communiqué. Séoul n’avait jusque-là qu’un statut d’observateur au sein de la PSI. Lancée par les États-Unis en 2003, la PSI rassemble 90 pays, inclut des manœuvres militaires et autorise l’arraisonnement en haute mer de navires suspectés de transporter du matériel nucléaire et autres armes de destruction massive.

Etat de guerre

En l’absence d’un traité de paix à l’issue de l’armistice de 1953, ayant mis fin à un conflit de trois ans qui déchira la péninsule, les deux Corées sont toujours officiellement en état de guerre. C’est d’ailleurs à ce titre que les États-Unis maintiennent plus de 28 000 militaires sur le sol sud-coréen et que s’y déroulent tous les ans des manœuvres communes entre armées américaine et sud-coréenne. Cette année, elles ont débuté le 9 mars 2009, ont été exceptionnellement longues — onze jours contre cinq l’an passé — et ont mobilisé 26 000 soldats américains et 30 000 Sud-Coréens. Pyongyang a condamné ces exercices. Pour certains observateurs, leur annulation aurait constitué « un signal fort, propre à diminuer les tensions et à vraiment marquer l’ouverture d’une nouvelle ère de dialogue dans la péninsule coréenne ».

Depuis son arrivée au pouvoir, Barack Obama n’a fait aucune proposition nouvelle sur la Corée. Pyongyang s’impatiente, dénonçant la « politique hostile » de l’administration américaine.

Et c’est bien là que le bât blesse pour Pyongyang. Derrière son dernier essai nucléaire, il faudrait voir la volonté des autorités nord-coréennes de renouer un dialogue direct avec Washington tel qu’il avait été entamé dans les années quatre-vingt-dix avec l’administration Clinton.

Pékin et Moscou irrités

La Russie a voté la résolution de l’ONU mais ne veut pas isoler davantage le régime de Pyongyang. La Chine s’est déclarée « résolument opposée » à l’essai nord-coréen, appelant Pyongyang à « cesser toute action susceptible d’envenimer la situation » et « à respecter ses engagements de dénucléarisation ». Mais Pékin a une préoccupation essentielle, celle de ne pas déstabiliser son voisin nord-coréen et surtout de ne pas avoir de troupes américaines à sa frontière — ce qui serait le cas si la péninsule était réunifiée. Russie et Chine ont la même analyse concernant l’adoption de nouvelles sanctions contre Pyongyang. Elles n’auraient guère d’effets, sinon celui de pousser les plus extrémistes du régime dans leur retranchement et elles affecteraient la population.

Les Chinois comme nombre d’observateurs asiatiques estiment que la politique de la tension et le bras de fer engagé avec la Corée du Nord ne sont pas les meilleurs moyens pour ramener Pyongyang à la table des négociations. Ainsi, en disant redouter une réaction « irresponsable », voire un nouveau test nucléaire de Pyongyang, Washington conforterait la stratégie du régime nord-coréen.


Kim Jong-il désigne son successeur

Tel un monarque, Kim Jong-il aurait désigné son troisième fils Kim Jong-un, pour lui succéder. La question de la succession de Kim Jong-il, au pouvoir depuis 1994, se pose avec d’autant plus d’acuité que, le numéro un nord-coréen aurait été victime d’une attaque voici près d’un an mais aurait depuis récupéré.

Kim Jong-un, qui aurait étudié en Suisse, n’était pas cité par les analystes comme le mieux placé pour succéder à son père, son frère aîné Jong-Nam, âgé de 37 ans, faisant figure de favori. Pour certains experts, les récentes démonstrations militaires de Pyongyang s’inscriraient dans la stratégie de M. Kim visant à consolider le soutien à son régime dans le cercle du pouvoir et dans la population. Kim Jong-il entendrait ainsi montrer à l’appareil de pouvoir nord-coréen qu’il détient encore les cartes pour régler notamment la question de sa succession.

Le 14 avril dernier, il a nommé son beau-frère, Jang Song-thaek, à la tête du comité national de défense qui ferait office de régent pour assurer le pouvoir de l’héritier désigné. Selon la revue américaine Foreign Policy, cette nomination ne ferait pas l’unanimité parmi les militaires. Selon certains experts, certaines élites du pays commencent à contester la légitimité de la « troisième génération » des Kim à diriger le pays.

Reste en outre qu’aujourd’hui la situation est fort délicate pour la Corée du Nord qui subit une grave crise économique et une série de disettes.


Désarmement nucléaire : comment avancer ?

Entretien croisé entre : Bruno Tertrais, maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), et Pierre Villard, président du Mouvement de la paix (France). Réalisé par Laurent Etre pour le quotidien français L’Humanité.

Le comité préparatoire à la prochaine conférence de révision du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) est parvenu à un consensus sur le programme de celle-ci. L’impératif du désarmement a été réaffirmé par les cinq puissances nucléaires « officielles », membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Or, en 2005, la dernière réunion sur le TNP avait été un échec.

Pierre Villard. Le traité de non-prolifération nucléaire [1], entré en vigueur en 1970, était d’une durée de vingt-cinq ans. En 1995, les États parties prenantes au traité ont décidé de le proroger de manière indéfinie et d’organiser des conférences de révision tous les cinq ans. En 2000, on note des progrès importants, notamment les 13 étapes. En 2005, c’est un fiasco, à cause notamment des États-Unis, mais aussi des autres puissances nucléaires qui n’entendaient parler que de non-prolifération et non de désarmement. Mais ne minimisons pas, en 2005, le maintien du TNP, avec tout ce qu’il contient. Après 2007 et 2008, paralysés par des jeux d’influence, le comité préparatoire de 2009 s’est déroulé dans une autre ambiance. Cette évolution positive est à mettre au compte du changement d’attitude des États-Unis et de la Russie, dans lequel s’engouffrent de nombreux pays non alignés. Les références répétées de Barack Obama au désarmement nucléaire et l’annonce de nouvelles négociations START (Strategic Arms Reductions Talks - discussions pour la réduction des armes stratégiques) changent la donne. (…)

Bruno Tertrais. Il y a effectivement eu, à New York, un accord sur le programme de travail de la conférence d’examen du TNP, qui se tiendra en 2010. Cela n’a rien d’extraordinaire et ne préjuge pas du succès de cette conférence. Il y a un meilleur climat, notamment en raison du changement d’administration américaine, qui a créé un effet psychologique important - même si l’universalisation du TNP a toujours été un objectif des États-Unis. Mais, au printemps 2010, l’avancement des programmes iranien et nord-coréen risque d’être un obstacle au consensus.

Le désarmement nucléaire est-il un bon objectif, crédible et souhaitable, dans le monde d’aujourd’hui ? Les pays qui tentent de se doter de l’arme atomique renonceraient-ils vraiment à cette ambition, si les puissances nucléaires acceptaient d’avancer résolument vers le désarmement ?

Bruno Tertrais. C’est un bon objectif seulement s’il ne conduit pas à une dégradation des conditions de sécurité mondiales. Or, la dissuasion nucléaire a contribué à l’absence de conflit majeur entre grandes puissances depuis 1945. Quant à sa crédibilité, soyons clairs : il est illusoire d’imaginer un désarmement nucléaire général dans les années qui viennent. La priorité, c’est de travailler à la réduction des risques nucléaires, des tensions internationales et des autres facteurs de guerre, ainsi qu’à l’amélioration de la gouvernance mondiale - autrement dit, aux conditions qui rendront possible le désarmement nucléaire, sans accroître le risque de conflit ou de course aux armements conventionnels. Je ne crois pas à l’argument selon lequel un engagement plus résolu des puissances nucléaires vers le désarmement est la clé de la lutte contre la prolifération. Les réductions considérables des arsenaux, qui ont eu lieu depuis vingt ans, n’ont eu aucun impact positif sur les programmes de pays tels que l’Inde, le Pakistan, Israël, la Corée du Nord, l’Iran, l’Irak jusqu’en 1991… Si le Brésil ou la Libye ont renoncé au nucléaire, c’est pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le désarmement des grandes puissances ! Si les États-Unis, la Russie, etc., renonçaient à l’arme nucléaire, de nombreux pays pourraient considérer qu’ils auraient avantage à développer leur programme. Car, dans un tel contexte, la possession de deux ou trois armes nucléaires leur donnerait un avantage stratégique extraordinaire.

Pierre Villard. Le désarmement nucléaire n’est pas un bon objectif, c’est une obligation internationale. Contraires à la charte des Nations unies, l’utilisation de l’arme atomique et sa menace ont été jugées illégales par un avis de la Cour internationale de justice, ajoutant qu’il existe une obligation pour les pays nucléaires d’œuvrer au désarmement. La question n’est donc plus « pour ou contre ? » mais « quand ? ». Il y a, bien entendu, des précautions à prendre et des garanties à donner. Mais, soyons sérieux, les plus fortes menaces proviennent des 8 États qui détiennent l’arme nucléaire [2]. Les discours dramatisants faisant croire que tout le monde peut avoir sa bombe atomique sont au mieux des fantasmes, au pire de l’escroquerie intellectuelle destinée à faire accepter par l’opinion la « dissuasion nucléaire ». Mais la dissuasion n’existe pas. Les armes finissent toujours par servir un jour où l’autre. Et depuis soixante ans qu’elle existe, l’arme nucléaire n’a empêché aucune guerre. Elle a permis de hiérarchiser le monde entre ceux qui possèdent le pouvoir de détruire des milliards d’années d’évolution et ceux qui ne l’ont pas. Il y a une injustice flagrante qui pousse quelques États à vouloir se doter de l’arme nucléaire pour compter sur la scène internationale. Mais comment expliquer à ces États qu’ils n’y ont pas droit quand d’autres continuent à argumenter du maintien de leur potentiel atomique pour leur sécurité. C’est cela qui n’est pas crédible. Si l’arme nucléaire est bonne pour les uns, pourquoi ne le serait-elle pas pour les autres ? La théorie de la dissuasion est aujourd’hui le meilleur allié de la menace de prolifération nucléaire. Les 8 puissances nucléaires doivent accepter un processus permettant d’aller vers l’abolition de l’arme nucléaire. C’est possible. C’est tout l’enjeu du modèle de convention d’élimination des armes nucléaires [3] que les ONG ont construit ces dernières années et qui est maintenant un document de travail officiel de l’ONU.

[2États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne, France, Israël, Inde, Pakistan.



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