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Feue l’Europe « sociale »

par Maurice Magis, juin 2010

« Plus le gouvernement durcira la politique budgétaire, plus les marchés réagiront positivement. » Ainsi
s’exprimait récemment un trader de la City en se félicitant du régime sec annoncé par le nouveau Premier
ministre britannique, le conservateur David Cameron, dès son entrée en fonction. Mais les propos de cet
aventurier de la haute finance pourraient sortir de la bouche de n’importe quel mercenaire des jeux boursiers,
dans n’importe quel pays européen. Ils résument si bien la philosophie des gouvernements tout occupés à tenter
d’amadouer les « marchés.

La Belgique n’échappe pas à la règle. Certes, il est de bon ton, dans les « grands partis » d’aller répétant que la
priorité est à l’économique et au social et donc, du moins du côté francophone, que l’heure n’est peut-être pas
aux emballements institutionnels. Mais il est vrai aussi que les élections approchent et qu’il faut bien faire mine
de tenir compte des voeux clairement répétés des électeurs. Mais que vaut cette « priorité à l’économique et au
social » ? Notre pays et ses régions vivent depuis des années en austérité permanente. Et l’on ne prendrait pas
de gros risques en pariant que des tours de vis supplémentaires viendront étouffer un peu plus le « social » - et
les services publics- une fois le scrutin passé et un gouvernement mis en place (quand ? C’est une autre histoire).
C’est l’ensemble de l’Union européenne – ses peuples- qui se voient promettre un bien sombre avenir. Partout
les mêmes annonces, mille fois répétées, comme si cela allait de soi, à des citoyens autistes. La priorité ? La
réduction des déficits publics. Son corollaire ? Un effacement maximal des dettes publiques ? Comment ? En
taillant dans les « conquêtes » sociales à commencer par les salaires, les outils publics et les conditions d’accès
à la pension, partout, sans exception, attaquées à la serpe. Un politique inique et absurde. Absurde parce que les
traitements de chocs promis sont parfaitement contradictoires avec l’objectif d’un retour prochain à la croissance,
sans laquelle il ne peut y avoir ni création d’emplois, ni retour à des finances publiques durablement stabilisées.
Inique et mensongère parce qu’elle fait l’impasse sur les causes profondes des déficits honnis. Il est bien peu de
responsables politiques pour expliquer – reconnaître- que, si les « problèmes de dette publique » et de leur poids
sur les budgets ont été aggravés par la récente crise financière du capitalisme global, ils ont une longue histoire
qui n’a rien de mystérieux.

« Compromis historique »

Pour les apôtres de la pensée unique et du « marché (abusivement dit) libre et concurrentiel », il semble hors de
propos – assurément inutilement iconoclaste, de rappeler certaines évidences : la montée en puissance de la
pensée ultralibérale depuis des décennies ont grevé les finances publiques. Et les citoyens-contribuablesconsommateurs
n’y sont pour rien. L’économiste français Frédéric Lordon évoquait récemment le « compromis
historique » passé entre le capital et l’Etat à partir des années 1980 pour lancer la grande « reconquista des
possédants » et en finir avec le compromis social arraché par les salariés organisés au sortir de la seconde guerre
mondiale. Un paradigme d’exception dans l’histoire économique à dépasser une bonne fois pour toutes. D’où
la défiscalisation systématique du capital et de la fortune et l’obligation faite aux ménages de payer les pots cassés.
« De la baisse de l’impôt sur les sociétés … (sans effet tangible autre que d’opportunité sur l’investissement) aux
larges défiscalisations des revenus du capital, en passant par les baisses massives et continues des cotisations
sociales au nom de la baisse-du-coût-du-travail pour résorber le chômage …et pour ne rien dire du maquis des
exemptions en tout genre permettant aux plus riches de ne payer que des clopinettes au fisc, le colonne recette
du budget de l’Etat offre une cohérence d’orientation qui entre dans la cohérence plus vaste de la configuration néolibérale du capitalisme. Dont on pourra dire qu’elle a pour axes principaux : la déréglementation et la défiscalisation [1].
 »

L’aggravation de la crise systémique du capitalisme globalisé offre une belle occasion de pousser les feux et de
lancer les torpilles. De Rome à Madrid, de Berlin à Bruxelles, les cures d’austérité se succèdent. On sait ce qu’il
en est en Grèce. En Grande-Bretagne, le premier geste significatif du gouvernement Cameron a été d’annoncer
« un programme radical pour un gouvernement radical ». Au nom des « principes de liberté, d’équité et de responsabilité
 » (air connu), ce programme aligne notamment la révision à la baisse des aides au chômage,
l’accroissement de l’âge de la retraite, la privatisation progressive de la poste, plus de flexibilité du travail, etc.
L’Italie de Berlusconi n’est pas en reste. Là aussi, les salaires des fonctionnaires et les dépenses sociales sont
dans la ligne de feu. Le chef du gouvernement a annoncé un « effort » de 24 milliards d’euros pour « sauver
notre pays du risque grec ». Les collectivités territoriales passeront à la caisse alors que le pays s’achemine vers
une organisation fédérale de l’État, sous la pression de la Ligue du Nord.

Haro sur les retraites

Au Portugal et en Espagne, les gouvernements annoncent une dangereuse réduction des investissements dans
les infrastructures. Fin mai, le plan d’austérité du gouvernement de José Luis Zapatero a été voté – à une voix
près – par le Parlement. Soit un ensemble de mesures d’austérité pour 2010 et 2011 de 15 milliards d’euros avec
à la clé notamment une baisse des salaires des fonctionnaires et un gel des pensions. Le gouvernement socialiste
avait pourtant juré de ne pas toucher aux acquis sociaux. Une parole qui n’a guère pesé sous la pression des
marchés et des autorités européennes.
En France, Nicolas Sarkozy a décidé de mettre au feu la retraite à 60 ans. Un des principaux acquis des années
Mitterrand. Au risque d’enflammer la poudrière sociale. Le président « de l’emploi et du pouvoir d’achat » qui
devait aller « chercher la croissance avec ses dents » est bien décidé à aller plus loin. Relayant sa voisine allemande,
il s’est dit prêt à tenter rapidement ce que la gauche appelle un « véritable coup d’Etat constitutionnel ». Il
a ainsi dit vouloir « la mise en oeuvre d’une réforme constitutionnelle qui « ferait obligation à chaque gouvernement
issu des urnes de s’engager pour cinq ans sur une trajectoire de déficit. Chaque gouvernement devrait
simultanément s’engager sur la date à laquelle l’équilibre des finances publiques serait atteint ». En clair, et dans
la ligne de l’esprit de Maastricht, une telle réforme signifierait que, quel que soit le vote des Français en 2012, la
majorité sortie des urnes aurait obligation de poursuivre la politique sarkozienne d’austérité.

Quant à l’Est…

Les pays occidentaux ne sont pas les seuls frappés. En Lettonie, le salaire moyen de la fonction publique devrait
être réduit de 28 % entre 2008 et 2012. En Roumanie, le gouvernement veut tailler de 25 % dans les salaires des
fonctionnaires et réduire les pensions, déjà dérisoires, de 5 %. Les dépenses sociales seraient également réduites.
Avec en prime, « plus de flexibilité sur le droit de licenciement, sur les salaires, sur le droit du travail ». Cela,
histoire de répondre aux injonctions du Fonds monétaire international. Un FMI dont le directeur général, le socialiste
Strauss-Kahn, candidat putatif à la candidature à la présidence de la France, vient d’apporter son appui à
Sarkozy et à ses pairs au grand dam de ses amis politiques.
Avant de dénoncer la « rigidité » espagnole, il a claironné que l’âge légal de la pension « n’est pas un dogme », il
prend ainsi clairement la trace des libéraux de tous poils. Qui, comme l’a répété le communiste Pierre Laurent,
« n’ont qu’une obsession : en finir avec les droits sociaux du plus grand nombre pour donner des gages aux
marchés financiers. » Il est vrai que, si l’on parle de dogme, tel est bien celui du FMI. Un organisme qui, lui, ne
connaît pas la crise. Alors que l’on annonce trente millions de chômeurs en Europe d’ici deux ans, il vient
d’annoncer, à l’image des banques privées, des bénéfices multipliés par quatre dus à « des rentrées plus importantes que prévu du portefeuille d’investissements. » Façon de dire que les déficits massifs des Etats rapportent
gros.

« La grande crainte, c’est que l’Europe ne s’enfonce dans ce que les économistes appellent une spirale déflationniste.
En gros, trop de rigueur finirait pas paralyser les trois grands acteurs qui font tourner l’économie d’un
pays : les ménages, les entreprises et l’Etat [2] », notait justement du récent dossier du Soir. Qui citait le prix Nobel
d’économie, l’Américain Joseph Stiglitz : si l’Europe met en oeuvre un plan coordonné d’austérité, elle court au
désastre. »

Les syndicats du continent s’insurgent. « L’injustice sociale est criante. Tandis que des milliards ont pu être débloqués
pour sauver les banques d’une catastrophe qu’elles avaient elles-mêmes fabriquée, les travailleurs, les
citoyens européens sont maintenant sommés de payer l’irresponsabilité et la cupidité des agents financiers d’hier
et d’aujourd’hui, à travers des mesures d’austérité qui vont davantage plomber des pouvoirs d’achat déjà réduits
 », dénoncent les dirigeants de la Confédération européenne des syndicats. « Pour inverser la tendance de la
précarisation de l’emploi, nous devons promouvoir le travail de qualité et nous tourner vers une nouvelle répartition
entre évolution de productivité et salaire. La croissance durable dont l’Europe a extrêmement besoin ne peut
s’appuyer que sur une stabilité et une sécurité fondées sur une politique dynamique de l’emploi et de la protection
sociale [3]. »

Mise sous tutelle

Ignorant la rogne des salariés, le Président de la Commission Européenne veut mettre sous tutelle les budgets
nationaux en imposant l’examen préalable des budgets nationaux par la Commission Européenne, gommant
ainsi l’existence des Parlement Européen et des assemblées nationales et le fait que le traité de Lisbonne décrit
les domaines de codécision entre la Commission Européenne et le Parlement Européen. Là encore, c’est le sens
même du suffrage universel qui serait passé à la guillotine.
Dans plusieurs pays, où les Parlements peuvent se permettre de censurer leur gouvernement, des élus se sont
offusqués de ce coup de force annoncé. Oubliant au passage qu’en entérinant les traités européens, ils abandonnaient
l’essentiel de leurs prérogatives. Et que la moitié au moins des lois appliquées en Belgique ou ailleurs
ne sont que la transposition en droit français de directives européennes.

Contrairement à ce que qu’affirment les ayatollahs du marché, rien n’est pourtant écrit dans l’airain. « La rigueur
est aujourd’hui une erreur économique. Elle fera replonger l’Europe dans la récession, amenuisera les recettes
fiscales et creusera les déficits publics. A moins que le mobile caché du crime ne soit le détricotage méthodique,
Etat membre par Etat membre, du modèle social européen. Nous avons donc appelé toute la gauche à voter
contre le rapport travesti (ce rapport d’initiative, qui a été voté au Parlement européen, traite de ‘la viabilité de
long terme des finances publiques dans un contexte de relance économique’ ndlr) Même perdant, face aux
conservateurs, aux libéraux et aux souverainistes, ce vote en bloc des socialistes, des Verts et de la Gauche
unitaire européenne (GUE) est un symbole fort, celui de l’union de la gauche qui se dessine au Parlement européen
contre les politiques d’austérité [4]. »

Feue l’Europe « sociale »
par MAURICE MAGIS, chargé de communication de l’ACJJ - juin 2010.

[1« La dette publique, ou la reconquista des possédants ». Par Frédéric Lordon. Les blogs du Diplo. Le 26 mai
2010 (http://www.monde-diplomatique.fr)

[2« L’Europe écrasée par la rigueur ? ». Le Soir du 27 mai 2010.

[3« Revoir le modèle social européen est nécessaire », par John Monks et Joël Decaillon, président et viceprésident
de la CES. Le Monde du 29 mai 2010.

[4« L’union de la gauche au Parlement européen doit faire bloc contre les politiques d’austérité » par l’eurodéputé
socialiste français. Le Monde du 29 mai 2010.



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