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Doublé sur sa gauche, distancé par la droite : Schröder ou la chronique d’une défaite annoncée

par Maurice Magis, juin 2005

Ce n’est pas le tout de décider des élections anticipées. Encore faut-il sauver les meubles. Les sondages donnent une belle avance aux démocrates-chrétiens. Mais voilà qu’une nouvelle alliance pointe sur la gauche de la social-démocratie allemande et bouleverse la traditionnelle bipolarisation de la vie politique. Un coup de frais que semblent saluer un nombre important d’électeurs.

C’est un éminent économiste de la Bank of America qui le dit. Quel que soit le vainqueur des législatives de septembre prochain, « l’Allemagne tient certainement sa meilleure chance d’éliminer les rigidités structurelles qui en ont fait l’homme malade de l’Europe. » Paroles d’expert. Les conseilleurs n’étant pas les payeurs, cet éminent représentant de la finance globalisée a sa recette pour ce pays qui fut longtemps la locomotive économique de l’Europe : pousser plus encore les feux de la libéralisation. La panacée ?

Les faits sont là. La principale puissance du « vieux continent » est dans le rouge. L’OCDE parie sur une croissance — revue à la baisse — de 1,25% cette année. D’autres économistes tablent sur moins d’un pour cent. Rien n’indique que la situation sera meilleure en 2006. En tout cas pas au point de sortir d’un marasme persistant. Avec un chômage record : plus de cinq millions de sans emploi. Un chiffre jamais atteint outre-Rhin depuis 1928, sous la république de Weimar. À cause des « rigidités » ? Le gouvernement Schröder — alliance entre le Parti social-démocrate (SPD) et les Grünen de Joschka Fisher — présente un bilan social catastrophique. Il s’est lancé sans guère d’Etats d’âme dans la mise à sac de ce qui fut naguère le « modèle rhénan » où s’équilibraient, vaille que vaille, les revendications syndicales et les exigences patronales. En Allemagne, comme ailleurs, les mots d’ordre de « dérégulation » et de « flexibilité » ont pris le dessus, mettant le fameux modèle au rancart, sacrifié sous les coups de boutoir d’une construction européenne essentiellement libérale et les exigences de la mondialisation. Les syndicats, qui durant des décennies, ont cogéré l’économie et l’Etat-providence, ont payé ces mutations au prix fort. D’autant plus cher qu’ils ont souvent choisi de les accompagner au lieu de les combattre. Résultat, le DGB, l’unique centrale syndicale interprofessionnelle a perdu 350 000 adhérents en 2004. Quatre millions en dix ans. Le taux de syndicalisation est aujourd’hui à un peu plus de 20% contre 35% au début des années nonante. Mais c’est aussi le Parti social-démocrate qui voit là s’effondrer sa base sociale traditionnelle.

De défaite en défaite

De plus, les attaques contre les acquis sociaux ne frappent pas les seules couches défavorisées de la population. Une bonne partie des classes moyennes est tout aussi concernée. Prenant le sillage du gouvernement de centre-gauche, de nombreuses firmes ont joué du chantage à la délocalisation pour mettre à mal les accords collectifs, tantôt en matière salariale, tantôt en matière de durée du temps de travail. D’où un rétrécissement de la consommation intérieure que ne compensent pas les bonnes performances à l’exportation des entreprises.

Au total, le SPD a subi défaite électorale sur défaite électorale. Jusqu’à sombrer le 22 mai en Rhénanie du Nord-Westphalie. Une débâcle historique dans ce qui fut durant près de quarante ans un fief incontesté de la social-démocratie, une vitrine de ses réalisations sociales. Une terre ouvrière d’où proviennent la moitié des effectifs du SPD.

Le chancelier a donc tiré les leçons de cet ultime affront en précipitant les événements. Il a très vite annoncé son intention de provoquer des élections anticipées à l’automne, plongeant d’emblée le pays dans un climat de campagne.

À vrai dire, Gerhard Schröder n’avait guère le choix. Son parti est en crise profonde et il risquait d’être mis en minorité au Bundestag par des élus de sa propre formation. Après la Bérézina en Rhénanie du Nord-Westphalie, plusieurs députés social-démocrates avaient brisé les tabous dans une lettre au président du SPD, Franz Müntefering, et au chancelier. Sans mettre les gants d’usage : « On ne peut plus répondre toujours par le même discours, insistant sur la nécessité de maintenir le cap, quand la crise de confiance persiste et se traduit depuis deux ans par des pertes massives d’adhérents et des défaites électorales. Le gouvernement fédéral et le SPD doivent au contraire trouver le courage de faire l’inventaire de leur politique. À partir d’aujourd’hui, il faut un signal clair pour une réorientation de la politique économique et sociale. »

Virage tardif

Ce signal, le SPD a bien essayé de le donner au cours des dernières semaines. Franz Müntefering s’est lancé dans de violentes diatribes à l’égard du capitalisme. « Il s’agit de ne pas perdre de vue le volet social de l’économie de marché » a fait valoir Gerhard Schröder dans une récente intervention. Avant de demander au patronat d’augmenter les salaires. Mais ce gauchissement du discours ne semble guère convaincre une opinion méfiante et dont tous les sondages montrent le souhait de voir inverser les choix politiques actuels. Le SPD semble avoir choisi pour ligne de concilier les choix assumés de l’Agenda 2010 et une condamnation morale des excès du capitalisme.

Thomas Meyer, un des auteurs du nouveau projet de programme du SPD, vient ainsi de déclarer au Monde que l’idée de base reste celle d’« un ordre social basé sur la liberté et la justice » (par opposition à la « démocratie libertaire de type américain »), et d’un « Etat social avec son socle de droits fondamentaux. » Mais il faut toutefois « trouver une nouvelle balance entre ce que l’Etat peut garantir comme droits dans le domaine social et ce à quoi les citoyens doivent pourvoir eux-mêmes. » « Ce n’est que si l’on parvient à un meilleur équilibre entre marché et droits sociaux que le projet européen est acceptable par toutes les sociétés et les gouvernements. » [1]

Complicité gauche-droite

Cette ambiguïté programmatique ravit à l’évidence la chef de file des chrétiens-démocrates (CDU) et candidate à la chancellerie, Angela Merkel. Dans les sondages, le SPD stagne à moins de 30% des intentions de vote contre plus de 40% pour les chrétiens-démocrates. « Jamais une formation accusant un retard si important, trois mois avant le scrutin, n’a réussi à combler un tel handicap » a noté le politologue Hans Kalterhof.

Le SPD qui, dès l’annonce des élections a voulu se démarquer du « partenaire » vert, jugé trop « libéral » et lié aux couches moyennes aisées (mais lui aussi en nette perte de vitesse), ne croit plus guère à une remontée miraculeuse et semble résigné à passer la main, à charge pour la CDU de mettre les mains dans le cambouis. Angela Merkel, à ce jour, ne s’est guère avancée. L’emploi est son leitmotiv et elle renvoie à son parti — et à l’allié privilégié, le Parti libéral — le soin de peaufiner les lignes programmatiques. Difficile d’oublier, toutefois, que les chrétiens-démocrates ont collaboré avec le gouvernement rose-vert pour faire passer au Sénat — le Bundesrat — la loi Harz IV qui lamine les droits et les prestations des chômeurs. Et qu’ils ont soutenu le projet de nouvelle baisse de l’impôt des sociétés à 19%, aujourd’hui bloqué par les protestations de l’aile gauche du SPD.

Alternative à gauche

Le SPD se contentera donc de sauver les meubles. D’autant qu’il devra se battre sur deux fronts. Contre la droite, certes. Mais c’est à gauche qu’il y a du nouveau avec l’émergence d’un pôle alternatif qui risque de bouleverser la traditionnelle bipolarisation politique du pays.
Et avec le retour à l’avant-plan d’Oskar Lafontaine, qui, fin mai, a claqué la porte de la maison social-démocrate après 39 années de services. On ne peut pas dire que c’est une surprise. « J’ai toujours dit que je partirais si le SPD allait aux élections avec l’Agenda 2010 et Harz IV » a-t-il rappelé dans les colonnes du Bild. Sale coup pour Schröder. Lafontaine, à 62 ans, reste une référence pour la gauche allemande et pour de nombreux syndicalistes. Il était sorti brutalement de la scène en 1999 alors qu’il était président du SPD et ministre des Finances. Pour protester contre la participation de l’Allemagne à la guerre déclenchée par l’OTAN en ex-Yougoslavie sous la houlette des Etats-Unis. Et manifester son désaccord avec la dérive néolibérale du gouvernement.

Non seulement Lafontaine a repris du service actif, mais il a pris langue avec un autre retraité charismatique, Gregor Gysi, l’ancien président du PDS (le Parti du socialisme démocratique), formation constituée par des communistes réformateurs au lendemain de l’effondrement du mur de Berlin. Le PDS connaît de beaux succès électoraux dans l’ancienne RDA. Il est crédité de 5% au niveau fédéral. Et Gysi a décidé, lui aussi, de revenir dans l’arène.

Conséquence immédiate, le PDS et le Wasg (Alternative électorale, emploi et justice sociale), un nouveau parti composé de syndicalistes, d’anciens du SPD et d’altermondialistes, viennent de décider de faire liste commune aux élections législatives de septembre. L’un et l’autre espèrent sans doute bénéficier des voix d’électeurs social-démocrates déçus et acquis à l’idée que leur parti n’a de toute manière aucune chance contre les conservateurs. Mais cette alliance tactique, aujourd’hui essentiellement électorale, pourrait prendre à l’avenir un tour plus stratégique. « Le PDS et le Wasg veulent mettre sur pied un projet de gauche dans les deux prochaines années » ont affirmé des dirigeants des deux formations. Députée PDS au Bundestag, Petra Pau estime qu’« il est temps que la gauche cesse de gaspiller ses forces. » Et ne semble pas rejeter l’idée de liens plus structurels entre les deux partis.

Il est probable que l’alliance sera tirée par un ticket Gysi-Lafontaine. D’après certaines enquêtes d’opinion, quelque 18% des électeurs déclarent pouvoir voter en sa faveur.


Les logiques de l’Agenda 2010

L’Agenda 2010 vise à réformer le marché du travail, le système de santé et les retraites. Son application a débuté voici plus d’un an. Il met fin progressivement à la gratuité quasi totale des soins. Par exemple, les patients doivent acquitter un abonnement de 10 euros par trimestre pour bénéficier des soins et favoriser la consultation d’un généraliste au lieu d’un spécialiste. Les prestations, comme les échographies, ont été réduites. En cas d’hospitalisation, un forfait de 10 euros par jour est demandé. Dès l’an prochain, les congés maladies seront à charge des salariés par le biais d’une cotisation.

Les revenus des retraités doivent être progressivement soumis à l’impôt, tandis que les cotisations seront défiscalisées. L’âge de la préretraite passe de 60 à 63 ans. Les années d’études supérieures sont exclues du calcul des annuités donnant droit à la pension.

Dans le domaine de l’emploi, les conditions d’obtention des allocations de chômage ont été durcies, entraînant de nombreuses radiations. Les chômeurs doivent accepter toute offre de travail, même rémunérée en deçà des conventions collectives. La loi Harz IV ramène les indemnités versées après un an de chômage au niveau de l’aide sociale : 345 euros par mois à l’Ouest, 331 euros par mois à l’Est.

[1« En Allemagne, face à l’essor de la gauche radicale, le SPD révise son projet. » Le Monde du 26 mai 2005.



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