Ces derniers mois, on a même vu un certain nombre de gouvernements nationaliser une série d’institutions financières. Las, il semble qu’il s’agisse davantage de mutualiser les pertes issues d’une gestion privée vénale à l’extrême, que de socialiser des outils économiques importants pour la collectivité et fragilisés par la logique actuelle.
Le cas du secteur postal
L’évolution récente du secteur postal, un des derniers « géants » publics, est symptomatique de cette situation. Les circonstances étant, on aurait pu penser que des initiatives seraient prises afin d’éviter la libéralisation totale du secteur postal au niveau européen et la privatisation d’une série d’opérateurs (certains étant également des opérateurs bancaires). Malheureusement, il n’en est rien. En France, la pression en vue de privatiser la poste demeure forte. En Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste, via son ministre du commerce Peter Mandelson, souhaite privatiser partiellement le Royal Mail, le service public de la poste britannique, alors qu’il vient de nationaliser une partie des banques du royaume. Bref, la logique même qui montre aujourd’hui toute sa dangerosité se poursuit, les gouvernants se montrant incapables d’en changer.
Et en Belgique ?
Le 19 décembre 2008, alors que la chute imminente du Gouvernement Leterme faisait l’actualité des médias, s’est déroulée une réunion discrète mais cependant cruciale pour l’avenir de la Poste. Le très libéral ministre OpenVLD Vincent Van QuickenBorne y a présenté au gouvernement en voie de démission un projet concernant les conditions de la libéralisation du marché postal. Le Conseil des Ministres, en ce compris les socialistes, l’a avalisé.
Or, ce document que chacun peut lire sur le site du Ministre Van Quickenborne, comporte une série d’éléments extrêmement inquiétants et de nature à accélérer la déglingue sociale à la poste, détaillés ci-dessous. On notera d’ailleurs que, au nom de la sacro-sainte compétitivité, le document acte froidement 5000 nouvelles pertes d’emplois à la Poste d’ici 2011 et ce alors même que notre pays souffre déjà d’une explosion du nombre de demandeurs d’emplois. Ce document entérine également la baisse de qualité du service postal rendu à la population (fermeture de bureaux, hausse des prix, …).
Que contient le projet Van QuickenBorne ?
Le projet avancé prévoit pour les nouveaux opérateurs privés une obligation de couverture d’à peine 10% du territoire en première année et ne prévoit à terme qu’une couverture de 80% des trois régions. Ceci correspond clairement à une possibilité pour les opérateurs privés de se déployer uniquement dans les segments de marché les plus rentables et d’y faire une concurrence féroce à la Poste. Ceux-ci sont en effet intéressés par les grandes villes et les zones denses qui sont plus rentables. Le coût de distribution par lettre y est de l’ordre de 0,20 € contre 0,50 € en milieu rural [1].
La note du Conseil des Ministres prévoit de confier à la Poste, qualifiée d’opérateur historique, la gestion du ser-vice universel [2] pour une période de 6 à 8 ans à partir de 2011. Ce qui semble de prime abord un cadeau oc-troyé à la Poste ne l’est pas en réalité. D’abord parce que la Poste est de fait le seul opérateur à pouvoir rendre ce service aujourd’hui. Ensuite parce que c’est une dispense déguisée de tout service universel pour les nou-veaux opérateurs privés qui est visée via cette stratégie. Le texte ne prévoit par exemple pour ces nouveaux opérateurs qu’une « obligation de distribuer 2 fois par semaine après 2 années d’activité » contre 5 fois dans le cadre du service universel. Concurrencée sur les secteurs rentables et seule sur les secteurs déficitaires, la Pos-te sera contrainte de réclamer une hausse de sa dotation (déjà 300 millions d’euros annuels actuellement) pour le service universel, une hausse que nous paieront toutes et tous puisque le projet actuel ne prévoit aucun fond de compensation qu’alimenteraient les acteurs privés et ce afin d’éponger les pertes (environ 200 millions d’euros) qu’implique la distribution en zone rurale.
Le document acte la fin du principe du tarif unique. On peut lire : « Les nouveaux entrants peuvent utiliser un tarif différencié par client. » et impose à la Poste d’« ouvrir son réseau à ses concurrents aux mêmes conditions qu’elle le fait à ses grands clients et ce, dans le respect des règles de concurrence et de manière transparente et non-discriminatoire. »
Elément central, le projet ouvre grande la porte de la précarisation de l’emploi dans le secteur. On peut lire que pour l’« acheminement du courrier adressé : les opérateurs postaux peuvent soit prester ces activités eux-mêmes, soit externaliser ces activités à des indépendants ou à des sociétés » et également que pour « collecte, tri et distribution du courrier adressé : […] il peut être fait appel au travail intérimaire. » De surcroît, le Ministre van Quickenborne à déclaré à la VRT (télé flamande) qu’il n’est nullement question d’imposer les mêmes conditions de travail que celle de la Poste pour les employés des nouveaux opérateurs. Bref, si le projet passe en l’état, la déglingue sociale s’accentuera.
Défendre les services publics, un choix de société
Une réflexion et une prise de conscience politique globales s’imposent. Voulons-nous étendre le marché et la concurrence à tous les secteurs de l’activité économique ? A l’heure du réchauffement climatique, quel sens y a-t-il à voir demain plusieurs camionnettes sillonner nos rues pour distribuer le courrier ?
A l’aune de l’échec actuel de la logique ultralibérale et de la grave crise économique qui s’annonce, le temps est venu de porter le combat au niveau européen afin de refonder l’UE et de remettre en cause le dogme de la libé-ralisation et ce notamment en ce qui concerne le secteur postal — qui représente 1% du PIB de l’UE — afin d’éviter d’affaiblir plus encore l’économie européenne.
Et remettre en cause la libéralisation implique également de revenir sur la privatisation des opérateurs publics. Au niveau belge, la poste est toujours publique pour 50% mais sa logique est malheureusement aujourd’hui 100% privée. Au moment de la privatisation partielle en 2005, on a abondamment mis en avant l’arrivée de la poste danoise (détentrice de 25% des parts) et très peu le véritable nouveau propriétaire (pour lequel travaillait l’actuel patron de la poste, Johnny Thijs), à savoir le fond d’investissement privé britannique CVC Capital Part-ners (détenteur de 25% des parts également). Aujourd’hui, la poste danoise souhaite revendre à CVC ses parts dans la poste belge (avec au passage une plus-value totalement indécente de près de 150% sur 4 ans qui dé-montre si besoin en était la sous-évaluation de la poste belge lors de sa privatisation partielle). Si cette revente est acceptée, nous aurions une poste détenue pour moitié par un fond d’investissement privé. C’est totalement incompatible avec un service public.
Dernier avatar, sous la pression de CVC et avec l’aval non désintéressé de l’Etat belge (qui cherche des liquidités après avoir renfloué les banques), la Poste s’apprête également à réaliser un « cash-out » (c.-à-d. une distribution à ses actionnaires des réserves « inutilisées » de l’entreprise) de pas moins d’un milliard d’euros, un magot constitué sur le dos des travailleurs de la Poste et de ses usagers. Pour une mise de départ d’à peine 150 millions d’euros et après avoir déjà retouché plus de 80 millions d’euros de dividendes, on peut dire que le fond d’investissement CVC a bien choisi sa vache à lait.
Il conviendrait de réfléchir à la mise en place d’un processus menant à un retour à une poste 100% publique afin de remettre la Poste sur les rails d’un vrai service public via un contrat de gestion amélioré comprenant notamment : la réouverture des bureaux postaux fermés (coût estimé 75 millions d’euros soit un chiffre du même ordre que les bénéfices actuels de la poste, bénéfices distribués à ses actionnaires), le renforcement du rôle social du postier, une modération salariale pour la direction de la poste (+14% encore en 2008) et une philosophie d’entreprise citoyenne et non mercantile (fin des campagnes publicitaires du type SelectPost).
Plus prosaïquement et à plus court terme, comment agir ?
Outre cette remise en cause fondamentale de la logique actuelle, une série de mesures d’urgence s’imposent. La première serait un moratoire sur la fermeture des bureaux de poste dont l’impact social — encore sous-évalué — s’annonce terrible, en particulier pour les personnes âgées et les personnes précarisées. Par exemple, on dit peu combien la fermeture des bureaux de poste et leur remplacement — parfois aléatoire — par des franchisés, les Points Poste, s’accompagne de la mort du service bancaire universel de proximité qu’offrait la banque de la pos-te. Ceci est d’autant plus dommage que cette banque de la Poste est de facto redevenue majoritairement publi-que avec la nationalisation (forcée) de Fortis. Voilà donc un outil public que l’Etat laisse être sciemment affaibli par ses patrons actuels.
Le Gouvernement et le Parlement belges, afin d’éviter le drame social auquel le projet actuel va inévitablement conduire, devrait en outre baliser - fermement si possible - les conditions de la mise en œuvre de la libéralisation afin de protéger l’activité postale des appétits privés. C’est une marge de manœuvre importante laissée par l’UE dont il faut profiter. C’est ce qu’ont fait la Finlande ou l’Allemagne pour le marché postal. Il conviendrait notam-ment d’imposer aux acteurs privés intéressés par le marché postal, tout comme à l’opérateur historique : une couverture de tout le territoire, une distribution 5 jours par semaine, une norme salariale unique, une interdiction du recours à des indépendants pour acheminer le courrier.
En conclusion
L’avenir d’un authentique service public postal en Belgique se jouera dans les prochaines semaines, en témoigne la manifestation syndicale du 2 mars. C’est donc aujourd’hui qu’il convient de fédérer syndicats, usagers et élus de gauche afin d’empêcher que ne soit mise à mort l’idée d’un service public postal avec un véritable rôle social de proximité. En France la mobilisation a permis de faire reculer le gouvernement Fillon. Ici également, la seule issue semble être une mobilisation populaire d’importance.
Quelques dates clefs
1830 : Les postes belges deviennent un service d’Etat. Le développement de la poste est alors intimement lié à l’avènement des chemins de fer
1841 : Distribution quotidienne, même dans les campagnes
1844 : Apparition des boîtes aux lettres
1849 : Premier timbre-poste en Belgique
1971 : Changement de dénomination, l’ « Administration des Postes » devient la « Régie des postes »
1989 : Création de la « croix-de-fer » (axes Anvers-Charleroi Liège-Gand)
1991 : Le gouvernement chrétien-socialiste fait passer la loi sur les entreprises publiques autonomes et les socié-tés anonymes de droit public ◊ Objectif : limiter les coûts ◊ Conséquence pour la poste : 10.000 emplois perdus au cours des années 90
1992 : La « Régie des Postes » devient « La Poste (Belgique) »
1997 : Début de la libéralisation du secteur postal au niveau européen et première directive postale ouvrant le secteur à la concurrence pour les courriers de plus de 350gr.
1999 : Le gouvernement ouvre la poste à la concurrence pour le courrier de plus de 350 grammes au niveau belge
2000 : La Poste devient une société anonyme de droit public
2005 : Le gouvernement libéral-socialiste privatise 50% de la Poste
2006 : Le secteur réservé est limité aux envois de moins de 50gr.
2011 : Le marché postal doit être totalement libéralisé au niveau des pays de l’UE (2013 pour les nouveaux Etats Membres, le Luxembourg et la Grèce)
Pétition pour un retour à une poste 100% publique : http://sauvonslaposte.be
Plateforme belge des comités poste : http://post-sos-poste.be