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Barroso, le mal élu

par Maurice Magis, septembre 2009

José Manuel Barroso a été confirmé sans enthousiasme à la tête de la Commission européenne. Il était l’unique candidat en lice, plébiscité par la droite. Et adoubé par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne. Avec cette (ré)élection, c’est le sens de l’élection européenne de juin qui est nié.

Barroso, le mal élu

Officiellement, personne, dans le monde politique européen, n’a pour lui une passion immodérée. La plupart des groupes du Parlement européen ont critiqué parfois vertement sa première présidence, en raison, notamment, de son incurie dans le traitement d’une crise financière, économique et sociale qui s’éternise dans le monde et singulièrement en Europe. Et voilà José-Manuel Durao Barroso
reparti pour un tour.

Il est utile de revenir sur sa biographie.

A l’époque Premier ministre portugais, il est nommé à la présidence de la Commission européenne en novembre 2004, Il succède au pâle Romano Prodi. Une aubaine pour Barroso. Son gouvernement vient de s’effondrer. Son parti (« social-démocrate », de droite) est battu aux élections qui suivent son échec. Il réussit une belle reconversion.

Son parcours n’est pas rectiligne. Maoïste pendant la Révolution des oeillets, il devint le champion du Parti populaire européen, la droite, pour prendre la tête de la Commission. Des diplomates parlent de ce polyglotte comme de l’homme – le « caméléon » comme le surnomment ses détracteurs - qui « dit à tout le monde ce qu’il veut entendre dans sa propre langue ».

Pour les fédéralistes européens, il est avant tout la courroie de transmission des gouvernements. Sa commission est en effet un organe dont disposent les chefs d’État, que José-Manuel Durao Barroso ne veut pas affronter. « Au cours des cinq années écoulées, il a théorisé le renoncement au droit d’initiative et à l’indépendance de la Commission au motif que les Etats membres n’en voudraient pas. Il a transformé la Commission en secrétariat général du conseil, ce qui justifie que les chefs d’Etat et de gouvernement cherchent à le désigner pour un nouveau mandat » a dénoncé l’eurodéputée française (socialiste) Pervenche Berès [1].

Précuit

Lors du dernier Conseil européen de juin, les chefs d’État l’avaient alors désigné comme leur candidat. En juillet, les députés auraient dû se prononcer pour sa reconduction. Ils s’y sont refusé et ont reporté le vote à la mi-septembre.

Barroso a alors entrepris un véritable travail de lobbying. Il a transmis aux parlementaires fraîchement élus un document de quarante pages. « Mon premier mandat a été celui qui a servi à consolider l’Union à 27 », s’est vanté celui qui, libéral, s’est refusé à prôner avant la crise plus de régulation, avant d’emboîter pas à la démagogie pseudo-régulatrice des Merkel et Sarkozy. Consolider l’Union ? Mais il n’a pas réussi à convaincre les États les plus riches de ne pas laisser les États de l’Est dans les mains du FMI, emportés qu’ils étaient par la tourmente financière. Dans le même temps, Il propose de construire une économie sociale de marché et d’assurer un leadership européen. Mais avec le traité de Lisbonne, donc en tournant le dos aux citoyens.

Peu importent d’ailleurs les citoyens à Barroso et aux chefs d’Etat. Début août déjà, les tractations battaient leur plein sur la répartition des portefeuilles dans la prochaine commission. Une sorte de deal entre le PPE et les socialistes. Ce qui permettait à Barroso, sirupeux, de promettre une représentation « équilibrée » au sein du prochain collège. Entendez entre la droite et Parti socialiste européen.

Caméléon

Le genre de geste destiné à l’aider à convaincre les eurodéputés de confirmer sa nomination dès la rentrée parlementaire. Les conservateurs du Parti populaire lui étaient acquis. Les deux autres partis dont avait besoin M. Barroso pour garantir sa reconduction, les libéraux-démocrates et les socialistes, étaient partagés. Vis-à vis des uns, Barroso se présente désormais comme un homme du centre pour faire oublier ses convictions libérales. Devant d’autres, il a vanté son bilan dans le domaine environnemental. Il a promis de muscler sa présidence à gauche à destination de ceux qui l’ont accusé de passivité face à la crise dans les domaines du social, de l’emploi et de la lutte contre la récession. Affirmations vaines, rendues pratiquement inopérantes par les contraintes des traités européens.

José Manuel Barroso a au moins le mérite de la franchise. Président de la Commission européenne et candidat à sa réélection, il a passé quelques heures difficiles lorsqu’il a plaidé sa cause devant les différents partis. Auditionné par le groupe parlementaire de la Gauche unitaire européenne (GUE), José Manuel Barroso n’a pas cherché à amadouer ses interlocuteurs, se présentant comme un « défenseur acharné du marché unique ».

Dans ses « orientations politiques », Barroso s’était posé en défenseur des « droits sociaux fondamentaux, tels que le droit d’association ou le droit de grève ». C’était nécessaire pour obtenir le soutien des socialistes à Strasbourg. Ceux-ci se sont divisés, malgré l’appel du président du groupe socialiste, Martin Shulz, à rejeter Barroso. Seuls les 32 membres d’un groupe de partis europhobes, une partie des libéraux, les verts et la Gauche unie ont voté contre lui. Barroso n’a pas lésiné sur les basses manœuvres pour l’emporter. Il a pu ainsi compter – paradoxe des paradoxes – sur les voix des eurosceptiques britanniques, tchèques et polonais.

À droite toute

C’est bel et bien un homme clairement de droite qui se succède à lui-même. Quand des députés l’ont interrogé sur différentes décisions de la Cour de justice européenne (CJCE) qui remettent en cause le droit de grève, au nom de la libre prestation de services, ou de la liberté d’installation des entreprises, il a esquivé. Il a rappelle que la directive concernée, dite, « directive détachement des travailleurs, a été rédigée « parce que les travailleurs portugais étaient exploités aux Pays-Bas ». Sauf qu’aujourd’hui, cette directive permet le dumping social, comme à Vaxholm en Suède où une entreprise lettone a été autorisée par la CJCE à faire travailler ses salariés avec le droit du travail letton, au nom des traités européens en vigueur.

Quand des députés ont présenté sa commission comme « ultralibérale », il a rejeté une « caricature », même s’il « respecte la liberté d’expression ». Si l’UE n’est pas sociale, ce n’est pas la faute à la Commission, avance-t-il, mais à l’égoïsme « des États ». Et de citer des exemples où les États membres n’ont pas voulu de ses propositions visant à l’Europe sociale : quand il a proposé une aide financière aux pays en difficulté du fait de la crise, les États les plus riches ont dit « non ». Ce qui ne l’a guère incité à insister.

Pour le président de la Commission, l’Europe sociale signifie que son institution gère des fonds et les distribue aux autres États membres ou entreprises dans le besoin. Il n’est pas question de traiter des causes. José Manuel Barroso assume. D’ailleurs, « la crise n’est pas tombée du ciel, elle vient de l’autre côté de l’Atlantique », avance-t-il. « La crise a, ensuite, touché les banques européennes. » Ce sont pourtant bien des banques belges, suédoises, italiennes ou autrichiennes qui sont responsables de la catastrophe financière dans les États d’Europe. Quant au traité, Barroso en est « le gardien », de par sa fonction. Il est « pour tous les articles actuels des traités » et il est « pour le traité de Lisbonne. Si on change ces articles, on risque le nationalisme économique et les vieux démons du nationalisme européen ». Il y va même de cette affirmation : une remise en cause de la concurrence amènerait à « une renationalisation de certains secteurs. Et moi, je suis contre le nationalisme ».

L’électeur nié

Au bout du compte et après de multiples tractations en sous-main, ce sont les résultats des élections européennes qui sont niés. Le taux d’abstention a été historique. La droite a triomphé au cœur d’une crise de l’ultralibéralisme qui aurait dû la couler. Partis extrémistes et populistes ont enregistré des succès parfois spectaculaires. La gauche social-démocrate s’est pris une claque mémorable. Mais, au-delà de quelques déclarations de principe, celle-ci semble continuer comme si de rien n’était. Malgré une récession qui ébranle dans ses fondements l’économie de marché, socialistes et sociaux-démocrates ont échoué à convaincre les électeurs désabusés qu’ils présentaient une quelconque alternative. L’inquiétude populaire face à un futur incertain et la colère croissante contre les responsables politiques nationaux a incité des dizaines de millions d’électeurs – près de 60 % au niveau de l’Union européenne -à rester chez eux. C’est le scepticisme qui prévaux et qui doit relativiser la victoire par défaut de la droite largement majoritaire dans l’enceinte europarlementaire.

Malgré toutes ces faits, « vous changez les mots pour ne pas changer les choses. Mais votre programme se résume en une phrase : ‘dorénavant ce sera comme auparavant’ » a lancé le Français Jean Luc Mélenchon au nom de la Gauche unie. Mêmes pratiques et règne du chacun pour soi. Pas de consensus face aux mesures (timides) de régulation promises, ni pour répondre à l’effondrement industriel (voir l’automobile). Pas de politique commune digne de ce nom, pas plus que de mise en cause des règles libérales qui défont l’Europe. Encore moins de mesures contre cycliques. Mais déjà l’annonce de rudes politiques d’austérité dans les Etats membres. Ainsi continue à voguer l’ « Union »…loin des peuples.


Taux de chômage record dans la zone euro

Quinze millions. C’est le nombre de chômeurs dans la zone euro. Jamais depuis la création de la monnaie unique, en 1999, le taux de chômage n’était monté à 9,5 %. Les chiffres ont été publiés par l’office européen des statistiques, Eurostat. À la veille de la crise financière, en juillet 2008, ce taux était de 7 %.

Au niveau des 27, y compris les pays qui n’ont pas adopté l’euro, le taux de chômage est de 9 %, soit 21,8 millions de sans-emploi. La courbe des sans-emploi pourrait continuer de croître, estiment les économistes. En Belgique, le Bureau du plan annonce 800 000 chômeurs en 2011 et 10 000 faillites cette année. « Il semble toujours probable que le chômage augmente nettement plus, menaçant sérieusement les perspectives de croissance à court et moyen termes », relève Howard Archer, économiste à l’institut IHS Global Insight. Il pointe le risque de limitation de « la consommation dans la zone euro, particulièrement parce qu’il contribue à ralentir l’augmentation des salaires ».

La principale inquiétude touche les jeunes. 19,7 % des moins de 25 ans sont au chômage dans la zone euro. Ce qui laisse présager une génération perdue. Des chiffres qui évoluent en septembre avec l’arrivée de nombreux diplômés sur le marché du travail. En cas de reprise dans un ou deux ans, les laissés pour-compte des années précédentes seront alors en concurrence directe avec les nouveaux entrants.

[1« M. Barroso n’est pas celui dont les européens ont besoin ». Pervenche Berès dans le Monde du 15 septembre 2009.



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