Et revoici Al-Qaïda ? Tantôt déclarée éliminée de tel ou tel terrain, tantôt dite aux abois sur fond d’attentats sanglants, « revitalisée » de temps à autres par l’une ou l’autre vidéo de Ben Laden, on disait la nébuleuse terroriste repliée dans certaines zones tribales pakistanaises ou aux confins de l’Algérie, du Niger et du Mali avec Al-Qaïda au Maghreb (AQMI) ou Al-Qaïda au Sahara.
Mais c’est ici le « grand Satan », les Etats-Unis, que voulait meurtrir, par le biais d’un attentat manqué, un jeune Nigérian vite relié à une autre « filiale » , Al-Qaïda pour la péninsule Arabique (AQPA), portée sur les fonts baptismaux voici quelques mois et qui réunirait des djihadistes yéménites et des combattants saoudiens traqués dans leur pays. Mais Al-Qasida au Yémen est déjà une histoire ancienne. On se souvient des attentats contre l’USS Cole en 2000 et l’ambassade américaine en 2008. Depuis lors, dans les médias du monde, le Yémen apparaît surtout comme un sanctuaire de plus d’Al-Qaïda.
« L’ascendance yéménite de la famille Ben Laden, originaire du Hadramaout, la nationalité yéménite de nombreux prisonniers de Guantanamo et les attentats subséquents contre des touristes et des ambassades occidentales dans ce pays ont renforcé ce phénomène. Le Yémen figure aujourd’hui, à côté de la Somalie, de l’Afghanistan et des zones tribales du Pakistan, comme un repère d’Al-Qaïda. Les experts de la "pieuvre" sont maintenant sommés d’évaluer, devant les caméras, le potentiel de dangerosité du monstre qui étend aujourd’hui son ombre entre le golfe d’Aden et la frontière saoudo-yéménite. » [1]
Un régime corrompu
On en oublierait vite que « le régime de Sanaa a saisi l’occasion de la « lutte contre le terrorisme » pour réprimer, de manière violente, toutes ses oppositions. Aussi bien la rébellion zaydite dans le Nord que le mouvement séparatiste dans le Sud, dont une frange importante condamne le recours à la lutte armée, mais aussi les partis de l’opposition ou des militants de la « société civile » qui luttent contre la corruption, la prébende généralisée, la restriction de l’espace démocratique, les emprisonnements arbitraires et les atteintes à la liberté de la presse. Et celles-ci sont nombreuses. Elles augmentent au fur et à mesure que la menace d’Al-Qaïda grandit et que, par voie de conséquence, augmente l’impunité internationale du régime. Dernier exemple en date, le journal Al-Ayyam, interdit de parution depuis mai 2009 et qui partage ce sort avec d’autres journaux. » [2]
Dès lors, la question est posée. Le Yémen sera-t-il la prochaine cible des États-Unis, d’ailleurs déjà bien représentés par de multiples « conseillers » et qui apportent une aide militaire coûteuse à un régime qui, par le passé, a parfois été accusé de manipuler à son profit l’islamisme radical ? Washington a assisté l’armée yéménite dans des raids conduits en décembre contre des camps présumés de l’AQPA. Des dizaines d’activistes, mais aussi des femmes et des enfants selon la presse locale ont été victimes de ces raids. Mais un nouveau front, un engagement trop visible serait un pari bien risqué sur un terrain instable et complexe où toutes les oppositions, à commencer par les franchisés d’Al-Qaïda, rêvent de mettre à bas un régime corrompu et jugé porté à bout de bras par Washington. Les rumeurs d’une intervention directe des Etats-Unis continuant à courir, des députés ont mis en garde : une telle issue ne ferait que renforcer les admirateurs de Ben Laden et de ses affidés. Le pouvoir yéménite le sait. Obama aussi, englué dans les bourbiers irakien, afghan, pakistanais….
La chaîne de télévision CNN a pourtant pu citer de hauts responsables américains : « Les forces spéciales et les services de renseignement américains ainsi que leurs homologues yéménites se sont attelés à l’identification de cibles potentielles d’Al -Qaïda au Yémen ». Mais « Sanaa (la capitale) n’a pas encore donné son accord concernant le type d’opérations de forces spéciales américaines héliportées qui opéreraient au sol avec pour mission de capturer d’éventuels suspects afin de les interroger », a précisé une autre source de la chaîne. « La coopération avec les Etats-Unis s’arrête au renseignement » a insisté le ministre des Affaires étrangères yéménites qui estime à quelques centaines le nombre de combattants liés à Al-Qaïda. Mais, comme l’a fait remarquer un membre de l’administration Obama : « Nous avons déjà vu ce film avant et nous savons comment il se termine. »
Un président sans scrupule
Le président Ali Abdallah Al Saleh récolte ce qu’il a semé. Il a joué sans scrupule la carte islamiste pour consolider son pouvoir après la réunification entre le Yémen du Sud marxiste (l’ex-République démocratique populaire du Yémen) et le Nord islamo-nationaliste (la République arabe du Yémen) en mai1 990, dans la foulée de l’effondrement de l’ex-URSS. Des milliers de djihadistes yéménites avaient été envoyés combattre les Soviétiques à Kaboul dans les années 1980. Sanaa les a enrôlés, à leur retour, pour mater la rébellion séparatiste du Sud. Avant de les utiliser plus récemment contre les insurgés chiites dans le Nord.
En vérité, ce pays semi-désertique et ses 28 millions d’habitants font face à des menaces autrement plus dangereuses que celle de l’AQPA. Le régime est confronté depuis 2004 à une insurrection des chiites zaïdites, environ 40 % de la population, accusés d’être aux ordres de l’Iran. Appuyé par Washington, il multiplie les offensives terrestres et aériennes pour en finir avec la rébellion dirigée par Abdel Malek Al Houthi, dans la province de Saada à la frontière saoudienne. Alors que de l’autre côté de la frontière, l’armée saoudienne bombarde régulièrement la montagne de Jabel Al-Dood. C’est en parallèle que le pouvoir du président Saleh fait face au terrorisme ciblé de l’AQPA dirigée par Nacer Al Wahichi, retranché dans l’ouest sunnite du pays. Depuis l’attaque contre l’USS Cole dans le port d’Aden, l’AQPA, regroupement de plusieurs groupes djihadistes, a perpétré une trentaine d’attentats. Sanglants et spectaculaires, certes, mais moins inquiétants pour le système que l’insurrection armée chiite qui menace l’unité du pays.
Insurrection chiite et terrorisme djihadiste se déploient dans une conjoncture sociopolitique dégradée. Le quasi tarissement des revenus pétroliers, les réformes libérales imposées par le FMI se sont traduites par un creusement des inégalités sociales, un taux chômage estimé à 40 % en 2008, le triplement des prix des denrées alimentaires et le quadruplement du prix de l’essence. L’injustice sociale alimente un terreau fertile pour les séparatistes et les djihadistes et maintient le régime de Sanaa dans une position d’extrême fragilité.
La CIA à nouveau sur la sellette
Le 25 décembre, un Nigérian nommé Farouk Abdulmutallab ridiculisait les services de l’aéroport d’Amsterdam Schiphol, pourtant réputé un des plus sécurisés du monde, en embarquant dans un vol vers Detroit un explosif de la famille de la nitroglycérine. En novembre, son père, ex-ministre et dirigeant jusqu’il a peu de la First Bank of Nigeria, avait pourtant alerté l’ambassade américaine à Lagos de la radicalisation de son fils. Depuis, le nom de celui-ci avait été inséré dans une base de données américaine contenant des informations sur des suspects potentiels. Mais si cette base contient 550 000 noms, le jeune homme ne figurait pas dans la liste plus restreinte des 4 000 personnes suspectées de terrorisme et interdites de vol vers les États-Unis…à la suite, paraît-il, d’une erreur d’orthographe. Quant à lui, le département d’Etat n’a pas réalisé qu’il avait un visa depuis juin 2008 qui lui permettait d’entrer légalement sur le territoire américain
Informées par la compagnie aérienne, conformément à la procédure en vigueur, de l’identité de tous les passagers du vol 253, les autorités américaines n’y ont donc rien trouvé à redire. Quelques heures plus tard, Abdulmutallab tentait de mettre son plan mortel à exécution. Maîtrisé par un passager, cet ingénieur formé à Londres, ville creuset de l’islamisme radical, était inculpé par la justice américaine pour avoir « tenté de détruire un avion (…) et avoir introduit un explosif à bord de l’appareil ». Des rumeurs diverses ont couru, affirmant que le jeune Farouk ne possédait pas de passeport et ne pouvait donc pas embarquer. D’autres encore que sa présence dans le vol 253 aurait été organisé par de mystérieux intervenants. Le fait est que cet homme censé avoir été formé dans un camp d’entraînement d’Al-Qaïda a — heureusement — « foiré » son coup mais que bien des questions restent sans réponse.
Echec « inacceptable »
L’antienne revient de façon récurrente. On nous avait déjà fait le coup après le 11 septembre 2001. Les différents – et multiples- services de sécurité américains seraient, selon la Maison Blanche, composés de bureaucrates incompétents, incapables de se coordonner et d’échanger les renseignements dont ils disposent. Bref, cela dysfonctionne à Washington et les Etats-Unis seraient autant les victimes de fonctionnaires obtus que de terroristes acharnés à détruire la plus belle démocratie du monde. Au cours des dernières semaines, Barack Obama à son tour en a remis quelques couches en s’en prenant aux « ratés » de la CIA et des administrations « sœurs » après l’échec « inacceptable » - le mot est de lui- constitué par la tentative criminelle de destruction d’un avion de ligne.
Deux faits sont patents : l’auteur de l’attentat manqué contre le vol Amsterdam-Detroit le 25 décembre, le Nigérian Omar Farouk Abdemutallab avait déjoué tous les dispositifs sécuritaires censés protéger les passagers à destination des Etats-Unis. Et cinq jours plus tard, le 30 décembre, en Afghanistan, la CIA subissait un terrible revers. Plusieurs de ses agents périssaient dans un attentat suicide perpétré, selon les médias américains, par un agent double jordanien, un médecin à la solde d’Al-Qaïda, selon certains, un homme révolté par les morts de civils sous les frappes américaines, selon d’autres. D’où une grosse colère d’Obama, critiqué sur sa droite par les républicains et qui a haussé le ton pour montrer sa volonté de reprendre la main en un moment où la pression populaire se fait toujours plus forte devant les échecs de l’interventionnisme armé.
Mais que faire ? Pour en arriver où ? Cette chasse présidentielle aux boucs émissaires, justifiée ou non, pourrait sembler présenter plusieurs avantages politiques à court terme. D’abord, elle occulte les questions essentielles qu’il conviendrait de se poser. La conception de la « guerre contre le terrorisme », telle qu’elle prévaut aux Etats-Unis depuis tant d’années et telle qu’elle est diffusée parmi les alliés proches, singulièrement au sein de l’OTAN, est-elle pertinente ? Apporte-t-elle des résultats probants ? N’aboutit-elle pas à multiplier les fronts de guerre, les zones de conflit et, partant, à multiplier les vocations au martyre des djihadistes les plus enragés ? Remonter les bretelles des dirigeants des services secrets pourrait-il compenser, fut-ce partiellement, l’enlisement dans lequel se morfondent les forces armées au Moyen-Orient ?
Déjà vus
Pour Barack Obama, « le gouvernement américain avait suffisamment d’informations pour déjouer » la tentative d’attentat du 25 décembre, mais n’a pas su « assembler les informations » qui auraient permis à la CIA, au département d’Etat, au Centre national de contre-terrorisme, à la National Security Agency et au FBI d’agir de concert. Tout cela a des airs de films déjà vus. Mais pour nombre experts, les méthodes de la CIA sont totalement inadaptées, inefficaces en terrains et parmi des populations inconnues. « A tel point que plusieurs estiment que leur travail revient plus à dire la bonne aventure qu’à mener des enquêtes sérieuses », a écrit le chef du renseignement militaire en Afghanistan. Là encore, la chanson est connue. Et après ?
Les barbouzes américains, pourtant, ont bien souvent démontré leur capacité à intervenir dans les affaires intérieures des Etats souverains, en Amérique latine comme en d’autres régions du monde. Et la Central Intelligence Agency a une très longue pratique des coups tordus. Quelques rappels ? « Si l’on a retenu la présence massive de Cubains de l’exil dans la tentative d’invasion de la baie des Cochons en 1961, on connaît moins leur rôle dans les opérations ultérieures de la Central Intelligence Agency (CIA). Du Chili au Nicaragua en passant par le Vietnam, à travers coups d’Etat, assassinats de dirigeants, trafics d’armes et de drogue, ils ont été l’un des instruments les plus secrets et les plus meurtriers de la politique étrangère américaine (1). » De fait, et l’on pourrait parler aussi de l’Iran de Mossadegh, du Guatemala sous Arbenz, du Honduras, du Congo, de la Bolivie, de la Colombie, etc. Dès sa création en 1947, cet outil de la guerre froide avait sa ligne tracée : « Les opérations de renseignement clandestin impliquent d’enfreindre constamment toutes les règles. […] Pas plus le Pentagone que le département d’Etat ne [peuvent] prendre le risque de couvrir de telles missions. Un nouveau service d’action clandestine [doit] donc s’en charger (2). » Allen Dulles, son directeur de 1953 à 1961, affina la doctrine : « L’assassinat politique fait partie de notre panoplie […] si le président l’autorise. Dans ce cas, nous devons tout faire pour préserver un ‘déni plausible’ ; si la CIA est mise en cause dans un homicide à l’étranger, elle doit protéger le président en lui permettant de prétendre tout ignorer de l’opération ».
Constante impunité
Il est donc évident que « l’agence » n’a d’abord de compte à rendre qu’à la Maison Blanche. Ce qui, en principe, est tout aussi vrai dans les guerres actuelles contre l’ « axe du mal », même si ce concept enfanté par la droite ultra fait désormais mauvais genre dans les travées du pouvoir. M. Bush, en février 2002, n’a-t-il d’ailleurs pas mis les points sur les « i » : « aucune des dispositions de la convention de Genève ne s’applique à notre conflit avec Al-Qaïda », autrement dit tous les sales coups sont permis et couverts au plus haut niveau. Au nom bien sûr de la défense de la démocratie et des valeurs occidentales.
Alors, où est le problème aujourd’hui ? La « situation est d’autant plus perturbante que (...) la CIA ne s’est jamais montrée à la hauteur dans l’accomplissement de sa mission première : tenir le président des Etats-Unis informé de ce qui se passe dans le monde. Elle n’a vu venir ni la révolution khomeyniste en Iran, ni la désintégration de l’Union soviétique, ni le 11-Septembre, pour ne citer que ces cas (...) Peut-être parce que, comme l’a fait M. Bush, l’administration l’a employée abusivement pour des tâches paramilitaires plutôt que pour le recueil d’informations. » [3]
Officiellement, la CIA a été plusieurs fois « épurée ». Mais a toujours bénéficié d’une constante : l’impunité. Coupable des pires crimes, collés aux basques de citoyens « politiquement incorrects » ou étalant son incompétence, elle est et reste le bras de la présidence. Quitte à se « prendre une gueulante » quand les filets pourtant serrés du renseignement américain laissent passer un Nigérian de 23 ans affirmant appartenir à Al-Qaïda et porteur d’un produit incendiaire. La lutte antiterroriste coûte pourtant des centaines de millions de dollars aux contribuables étatsuniens pour la « sécurisation » des aéroports et des avions. Et la constellation du renseignement additionne 16 agences !
Barack Obama a donc multiplié promesses et menaces et averti qu’il ne s’en tiendrait pas à des mesures défensives. Les États-Unis, a-t-il rappelé, ont « déjà augmenté les pressions qui pèsent sur ceux qui veulent attaquer notre pays ». « Nous allons continuer à utiliser tous les éléments en notre pouvoir pour intercepter, détruire et vaincre les extrémistes qui nous menacent, qu’ils soient d’Afghanistan, du Pakistan, du Yémen ou de la Somalie, ou de partout où ils préparent des attaques contre le sol américain », a-t-il ajouté, sans donner plus de détails mais en clouant au pilori certains pays. Ce qui n’est pas sans rappeler les « États voyous » ou ceux de « l’axe du mal » chers à George Bush. Les mots passent. Les méthodes restent ? Les échecs aussi.
Al-Qaïda, islam : jeu de mots
C’est entendu et Barack Obama l’a dit et répété : Les Etats-Unis sont toujours en guerre mais, à l’en croire, pas tout à fait à la manière de George Bush. D’une part, il s’agit de répondre à tous ceux, républicains en tête, qui lui reprochent de sous-estimer la menace terroriste. Mais dans la nuance : « Nous sommes en guerre contre Al-Qaïda, un réseau extensif de violence et de haine », une manière de se démarquer des généralités de son prédécesseur George Bush comme la « guerre contre le terrorisme ». Tout en confirmant le renforcement des contrôles, le président a aussi tenté de rassurer ceux qui s’inquiètent d’une nouvelle dérive sécuritaire. « Nous allons renforcer nos défenses mais nous ne succomberons pas à une mentalité d’assiégés qui sacrifierait la société ouverte et les libertés et valeurs que nous, Américains, chérissons. » Aux musulmans, Il a rappelé son discours du Caire, appelant à un « nouveau départ » sur la base du « respect mutuel ».
Voilà pour la forme. Et sur le fond ? Au printemps 2009, Obama jouait les rassembleurs autour de ses « justes causes » lors d’un sommet de l’OTAN à Strasbourg. Avec succès puisque les leaders de l’Alliance atlantique n’ont de cesse de l’assurer verbalement de leur appui.
Glissements sémantiques
Or, dans un article intitulé « Les mots ont changé. Et les politiques ? », et repris sur le blog du Monde diplomatique, l’International Herald Tribune du 2 avril 2009 expliquait : « Ils [les responsables de l’administration Obama] peuvent envoyer 21 000 soldats supplémentaires en Afghanistan, comme Bush l’a fait en Irak ; mais il ne faut pas utiliser le mot ‘hausse’. Ils peuvent maintenir dans la prison de Guantanamo des gens capturés sur le champ de bataille, mais ceux-ci ne sont plus des ‘ennemis combattants’. Ils peuvent poursuivre le combat contre Al-Qaïda comme leurs prédécesseurs l’ont fait, mais ils ne mènent pas une ‘guerre contre le terrorisme’. » Mais « malgré tout le changement de vocabulaire, Obama a laissé intacte, pour l’instant, l’architecture nationale de sécurité. Il n’a fait aucun pas pour réviser le Patriot Act ou le programme d’écoutes. Il a ordonné la fermeture de Guantanamo d’ici un an, mais n’a pas transféré tous les prisonniers. Le renforcement des troupes en Afghanistan ressemble à celui que Bush a ordonné il y a deux ans en Irak. »
Au-delà des glissements sémantiques, la « guerre » continue et les lieux de conflit risquent fort de se multiplier pour des résultats bien plus qu’incertains. Encore convient-il de donner des arguments à des alliés plus nécessaires que jamais mais souvent réticents et, comme Obama, en délicatesse croissante avec leurs opinions publiques. Et d’offrir quelques gages au monde musulman (ce qui explique aussi pourquoi, par exemple, l‘administration Obama privilégie désormais, non plus un « processus de paix », mais la « paix au Proche-Orient »).
Tout cela apparaît fortement codifié ? C’est le cas et ce n’est pas neuf. En mars 2008 déjà, et sous la présidence Bush, le très officiel Counter Terrorism Communication Center, fixait la nouvelle donne dans l’utilisation des mots. Pas question d’associer terrorisme, Al-Qaïda et islam. Ainsi, par exemple « Ne pas invoquer l’islam : bien que le réseau Al-Qaïda utilise les sentiments religieux et essaie de tirer parti de la religion pour justifier ses actions, nous devrions le traiter (Al-Qaïda) comme une organisation politique illégitime » afin d’éviter « le schéma ‘les USA contre l’islam’ que Al-Qaïda promeut. » Ou « éviter les terminologies floues et insultantes (… ) comme ‘islamo-fascisme’ qui sont considérés comme insultants par beaucoup de musulmans ». (…)
De même, « « éviter les négations comme ‘nous ne sommes pas en guerre contre l’islam’. Malheureusement, les études montrent que les gens ont tendance à oublier la négation. Ainsi quand vous dites, par exemple, ‘nous ne haïssons pas l’islam’, les mots dont les gens se souviennent sont ‘haine" et "eux’. » [4] Le diable, donc, serait plus dans les mots que dans les détails. De là à convaincre les masses musulmanes du bien fondé des menées nord-américaines…
Al-Qaïda, une marque déposée
Loin d’être une organisation structurée de manière pyramidale, Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden est devenue, depuis son expulsion d’Afghanistan, un label auquel se réfèrent de plus en plus de groupes djihadistes en mal de notoriété. C’est le cas de l’ex-GSPC algérien (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, issu du GIA) devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Tirant les leçons de l’échec du djihad insurrectionnel de masse mené par l’ex-GIA (Groupe islamique armé) politiquement contre-productif et humainement très coûteux, l’ex-GSPC a opté, dès la fin des années 1990, pour une stratégie privilégiant le coût à risque minimal pour un effet maximal (bombes explosant au passage de convois militaires, véhicules piégés et attaques ciblées par de petits groupes). Cette stratégie a été surtout systématisée en Irak par Al-Qaïda aux pays des deux rives, de Moossab Zerkaoui. C’est aussi l’échec de ce djihad insurrectionnel au Yémen et en Arabie saoudite qui a conduit Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) à opter désormais pour des modes d’action privilégiant le djihad individuel (attentat suicide). Pour ces groupes, auxquels s’ajoutent de multiples autres groupuscules agissant en Afrique, en Asie centrale et au Moyen-Orient, faiblement structurés, le djihad individuel est la seule stratégie à opposer aux régimes « impies » et à l’Occident.
Sous le label gratifiant d’Al-Qaïda, ces groupes se légitiment aussi à travers l’Internet, sorte de cyberdjihad qui maximise à l’extrême leurs actions, voire permet de revendiquer à bon compte des actes isolés. Qui plus est, grâce aux sites islamistes — plusieurs milliers —, le discours djihadiste devient un moyen d’incitation au djihad individuel. Nul besoin d’être structuré dans une organisation, l’action individuelle est désormais validée au nom de Dieu par ces chouyoukhs salafistes qui pullulent sur la toile. Reste toutefois que des organisations comme le Hamas palestinien ou le Hezbollah n’entrent pas dans les plans des djihadistes se réclamant du label Al-Qaïda. Ils sont fortement critiqués en raison de leur refus de mener des actions à l’extérieur de leurs territoires — la Palestine pour le Hamas, le Liban pour le Hezbollah — contre les « ennemis de l’islam », les pays arabes et occidentaux.
Hassane Zerrouky, article paru dans l’Humanité du 6 janvier 2010.
« L’enfer sur terre » : un ex-détenu somalien raconte Guantanamo
« C’était comme l’enfer sur terre » : dans sa première interview depuis sa libération, un ancien prisonnier somalien de la prison de Guantanamo Bay, détenu pendant huit ans, a raconté à l’AFP sa captivité.
Mohamed Saleban Bare, 44 ans, affirme n’avoir été en rien impliqué dans des actes terroristes au moment de son arrestation par la police pakistanaise à Karachi en décembre 2001. Il a été détenu quatre mois au Pakistan, envoyé en Afghanistan puis à Guantanamo Bay.
« J’ai été emprisonné pendant environ huit ans et deux mois alors que j’étais innocent mais, grâce à Allah, je suis libre maintenant et je veux laisser derrière moi toutes ces souffrances », a raconté M. Bare, dans une interview accordée à Hargeisa, capitale de la région somalienne semi-autonome du Somaliland.
M. Bare et un autre Somalien, Osmail Mohamed Arale, 45 ans, ont été libérés et rapatriés par le Comité international de la Croix Rouge (CICR). Ils faisaient partie d’un groupe de 12 détenus de Guantanamo, dont six Yéménites et quatre Afghans, renvoyés dans leur pays d’origine par les autorités américaines.
« Guantanamo Bay est comme l’enfer sur terre et je ne me sens pas encore normal, mais je remercie Allah de m’avoir maintenu en vie et d’avoir fait que je ne souffre pas de désordres physiques et mentaux comme plusieurs de mes amis. » À Guantanamo, « ils utilisent des techniques de torture très dures,ils vous empêchent de dormir pendant au moins quatre nuits de suite, ils ne vous donnent quasiment qu’un biscuit à manger pour toute la journée, ils vous font dormir dehors sans couverture dans le froid et pour certains détenus c’est encore pire, avec des tortures à l’électricité et des coups. »
« Aucun droit de l’homme n’existe ou ne s’applique à Guantanamo. Les interrogateurs forcent les détenus à avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis en les torturant et en souillant leur religion. »
M. Bare assure que les autorités américaines ne lui ont jamais indiqué quelles charges pesaient sur lui. Les interrogatoires ont porté sur son passé et ses relations en Somalie. « ll n’y avait que des soupçons et aucun dossier clair », assure-t-il.
Il explique qu’il ne voulait pas répondre aux questions sur ses liens présumés avec al-Ittihad al-Islamiya, mouvement islamiste somalien des rangs duquel sont issus de nombreux leaders insurgés actuels, en particulier parmi les shebab, qui se revendiquent d’Al-Qaïda et du jihad mondial.
« Guantanamo est un endroit où l’on humilie les musulmans », juge-t-il. « Tous les prisonniers sont musulmans mais ils (les Américains) affirment que c’est une prison pour terroristes. Pourquoi alors n’y détiennent-ils pas des non-musulmans ? »
« Ils avaient l’habitude de jeter le Coran dans les toilettes et d’augmenter le son de leurs musiques pendant nos prières », accuse-t-il, reprenant une accusation d’autres ex-prisonniers de Guantanamo.
« Certains de mes compagnons de détention ont perdu la vue, (…) d’autres ont terminé à moitié fou », conclut M. Bare.