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Palestine : Abbas impose sa ligne au Fatah

par Maurice Magis, août 2009

Le sixième congrès du Fatah s’est tenu début août. Le premier depuis vingt ans. En deux décennies, bien des choses ont changé : les accords d’Oslo ont été signés et l’Autorité palestinienne s’est mise en place, mais l’Etat palestinien n’a jamais vu le jour.

Palestine : Abbas impose sa ligne au Fatah

À la suite de l’échec du processus de paix, la seconde Intifada a éclaté. Yasser Arafat est mort. Le Fatah, qui avait tout misé sur les négociations de paix, a perdu les élections générales tenues en 2006 au profit du Hamas. Le gouvernement constitué par ce dernier a été boycotté par l’Union européenne et les Etats-Unis, Une guerre civile a eu lieu à Gaza à l’été 2007. Le Hamas y assume seul le pouvoir dans ce territoire, tandis que l’Autorité maintient son contrôle de la Cisjordanie largement contrôlée par Israël. La guerre israélienne de décembre 2008-janvier 2009 contre Gaza a encore accentué la fracture entre les deux organisations. Les tentatives de réconciliation entre le Fatah et le Hamas menées sous l’égide de l’Egypte n’ont toujours pas abouti.

C’est dans cette situation désespérante que les 1700 délégués du Fatah se sont réunis à Bethléem pour adopter une nouvelle plate-forme programmatique. Un Fatah affaibli. Il est affaibli électoralement, après avoir perdu les élections législatives, remportées par le Hamas en 2006 ; il est affaibli en terme organisationnel avec des militants qui, pour beaucoup, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, réduisant l’organisation à un rassemblement de représentants de clans, et, surtout, il est affaibli politiquement, le charisme de Yasser Arafat - qui régnait sur le Fatah, sur l’OLP et sur l’Autorité palestinienne - n’ayant pas trouvé de remplaçant en la personne de Mahmoud Abbas. Un manque de charisme associé à une vision étroite des accords de paix, à une incapacité à développer une alternative politique face à des gouvernements israéliens successifs trop heureux de surfer sur un affaiblissement du mouvement national palestinien et à une opposition islamiste, renforcée par la corruption de l’Autorité palestinienne.

Mahmoud Abbas, a dû faire face à des critiques grandissantes, dans son mouvement comme au sein de l’OLP. Au point que les rumeurs de scission couraient au sein de l’organisation. Mahmoud Abbas en a pris conscience. Il aurait dit au comité exécutif du Fatah qu’il était insupportable de reporter la réunion de la conférence pour la énième fois parce que « nous sommes devenus la risée et notre peuple ne nous prend plus au sérieux. » Il aurait ajouté, selon la presse arabe : « C’est maintenant ou jamais. »

C’est aussi que la situation sociale, économique et politique du peuple palestinien est dramatique. En Cisjordanie, l’occupation perdure. La colonisation ne cesse pas et le mur grignote les territoires palestiniens. Les check points n’ont jamais été aussi nombreux. À Jérusalem-est, c’est pire. Les familles palestiniennes sont expulsées, les colons juifs s’installent et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, se moque des injonctions américaines, lui demandant d’arrêter la colonisation.

Dès lors, les divergences sont fortes. Qu’est-ce que signifie résister aujourd’hui ? Faut-il continuer à discuter avec Israël alors que la colonisation obère toute création d’un État palestinien viable ? Quels rapports privilégier avec le Hamas (qui a tenté d’empêcher des cadres du Fatah d’assister au congrès) ?

La voie est étroite pour le Fatah. Il doit tout à la fois regagner la confiance de son peuple pour remporter les prochaines élections législatives et présidentielle, qui devraient se tenir au début de 2010, et, dans le même temps, tenir le cap des négociations sans céder sur les principes essentiels : un État palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale, le droit au retour des réfugiés palestiniens, une maîtrise des ressources en eau, une continuité territoriale et, surtout, des débouchés économiques qui ne seraient pas seulement dépendants d’Israël.

Certains cadres du mouvement ont appelé ce congrès celui de la « dernière chance ».

S’il est encore trop tôt pour savoir si le Fatah va retrouver le cœur des Palestiniens, l’organisation fondée par Yasser Arafat a, en tout cas, ouvert une nouvelle page de son histoire. Loin des habituels discours consensuels, les débats qui ont eu lieu ont été riches et même vifs lors du congrès, Ses conclusions et le nom des nouveaux dirigeants semblent bien marquer la prééminence de Mahmoud Abbas sur l’organisation.

Il a fait inscrire dans le programme politique « son attachement à l’option d’une paix juste » avec Israël, tout en réitérant « le droit du peuple palestinien à la résistance contre l’occupation, conformément à la loi internationale », ce qui lui a valu les critiques du chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, qui a affirmé que cette plate-forme politique avait « enterré toute chance de parvenir à une paix avec les Palestiniens dans les prochaines années ».

Mahmoud Abbas savait également qu’il lui fallait rajeunir sa direction (et faire des exemples en éliminant les trop corrompus. Ahmed Qorei, impliqué dans des livraisons de ciment aux colonies, a été écarté sans ménagement). Pour cela, quelques noms suffisaient. Si l’on regarde la liste des membres du comité central élus à l’issue du congrès, on constate d’abord que les trois premiers élus (c’est-à-dire ayant eu le plus grand nombre de voix) sont des vieux de la vieille, à commencer par Muhammad Ghneim, connu sous le nom d’Abu Maher, qui n’est jamais rentré d’exil, toujours basé à Tunis. En troisième position, on trouve Marwan Barghouti, symbole de la résistance qui, malgré son emprisonnement dans les geôles israéliennes, a gardé toute son aura au sein du Fatah (il était secrétaire général pour la Cisjordanie) et surtout au sein de la population. Son élection, tout comme celles de Jibril Rajoub (6e position) et Mohammed Dahlan (10e position), deux anciens responsables de la sécurité préventive, le premier en Cisjordanie, le second à Gaza, marque l’entrée de la génération militante qui a émergé lors de la première Intifada. Les trois ont été emprisonnés à plusieurs reprises, les trois ont appris l’hébreu en prison, les trois se posent maintenant en successeur de Mahmoud

L’hypothèse Barghouti

C’était il y a plus de sept ans déjà. Marwan Barghouti était fait prisonnier en plein cœur de la terre palestinienne, à Ramallah, par un commando de l’armée d’occupation israélienne. En violation flagrante du droit international puisque l’un des plus hauts représentants du peuple palestinien était ainsi arrêté en territoire occupé et transféré vers une prison de la puissance occupante. Ce qu’interdisent très précisément ces conventions de Genève dont on vient de célébrer le soixantième anniversaire.

Procès biaisé, actes de résistance systématiquement assimilés par la partie civile (sic) israélienne à du terrorisme, condamnation à cinq peines de prison à vie, séjours successifs à l’isolement, périodes de détention dans des conditions inhumaines, se sont succédé durant ces sept années d’emprisonnement illégal.

Et pourtant rien n’aura permis de briser physiquement et surtout moralement Marwan Barghouti, qui bénéficie d’une aura extraordinaire en terre palestinienne. Au point d’y être encore et de très loin le dirigeant le plus populaire. Son élection toute récente à la direction du Fatah et maintenant le débat qui refait irruption au sein même du cabinet israélien sur le bien-fondé ou non de son éventuelle libération sont le signe d’un charisme étonnamment intact qui fait toujours de lui un interlocuteur décisif en dépit de son enfermement.

Le « document des prisonniers », rédigé du fond de sa cellule en juin 2006 avec d’autres détenus politiques palestiniens, dont des dirigeants du Hamas ou du Djihad islamique, constitue l’une des initiatives politiques parmi les plus marquantes du leader palestinien. Alors que le Hamas et le Fatah s’affrontaient ouvertement sur le terrain avec la bénédiction des autorités occupantes israéliennes, ce texte a cherché à sceller l’unité nationale au-dessus des clans, du fait religieux ou de ces avantages si particuliers qu’ouvre la corruption qui mine malheureusement une partie de l’administration palestinienne. Voilà pourquoi Marwan Barghouti incarne avec autant de force l’unité de son peuple et sa légitimité à résister à l’occupation.

Les signaux émis ces jours-ci illustrent à leur manière combien la libération de Barghouti peut être décisive pour qui entend en venir à un vrai début de solution au Proche-Orient. Avec comme préalable la fin de la colonisation et le retrait d’Israël des territoires qu’il occupe depuis 1967. Pour permettre l’avènement d’un État palestinien viable à « côté de celui d’Israël », comme le souligne l’inspirateur de la deuxième Intifada qui ne cache pas son ouverture à la société israélienne - il parle parfaitement l’hébreu - et sa disponibilité pour une négociation fondée sur ces principes-là.

Il ne faut pas se leurrer cependant. Les extrémistes savent qu’ils n’ont rien de bon à attendre d’une libération du leader de la résistance palestinienne. Ils le préfèrent au fond d’une prison, voire mort. « Seulement pris ? Dommage », avait regretté Ariel Sharon en avril 2002 en apprenant son interpellation.

Le combat des Palestiniens comme l’amplification du mouvement de solidarité internationale sont donc, on l’aura compris, plus indispensables que jamais afin que la libération de Marwan devienne incontournable. Pour que justice soit faite. Mais aussi pour déverrouiller enfin la situation au Proche-Orient.

Vidor Lieberman, le ministre israélien des affaires étrangères, ne manque pas d’aplomb. Il a récemment déclaré aux Etats-Unis, lors de sa rencontre avec le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, que les colonies ne sont pas « un obstacle » pour la recherche de la paix et qu’il est manifeste qu’il s’agit d’« une excuse pour ceux qui veulent esquiver les pourparlers », à savoir les Palestiniens. Ces derniers refusent en effet de reprendre des négociations avec le gouvernement sorti des urnes le 10 février.

Les Palestiniens motivent ce refus pour deux raisons. Ils exigent que le processus de colonisation soit entièrement gelé, y compris la poursuite des constructions. Il s’agit de ne pas établir sur le terrain des faits accomplis empêchant la création d’un Etat viable. L’Autorité palestinienne insiste également sur la reconnaissance du principe de « deux Etats pour deux peuples », sans que celui-ci soit assorti d’une batterie de conditions comme celles qui ont été énoncées par le premier ministre Benyamin Nétanyahou, lors de son discours du 14 juin.

Depuis les accords d’Oslo de septembre 1993, les Palestiniens négocient pour faire avancer leur cause. Tout devait être résolu en 1999, mais ce ne fut pas le cas. Depuis, il y a eu la « feuille de route », en 2003, le plan de paix international pour créer une Palestine à la fin de 2005. Nouvel échec. Le processus d’Annapolis de novembre 2007, dont l’initiateur, George Bush, avait promis qu’il permettrait d’aboutir à la fin 2008 à la concrétisation du rêve palestinien, n’a pas été plus fructueux.

Aujourd’hui, « Bibi » - surnom de M. Nétanyahou - a fait, selon Nicolas Sarkozy, « une avancée importante » en admettant sous la pression américaine, après des décennies de refus, la création d’un Etat palestinien. Mais quel Etat palestinien ? Démilitarisé, sans contrôle de ses frontières, de son espace aérien ni de ses ressources, sans la liberté de nouer des alliances. La vallée du Jourdain restera sous contrôle israélien. Les forces de sécurité garderont le droit d’intervenir à leur guise dans un Etat croupion, mais qui aura son drapeau, son hymne national et son gouvernement, a promis M. Nétanyahou. Ce qui est déjà le cas. Une sorte de « protectorat », comme l’a qualifié Yasser Abed Rabbo, proche collaborateur du président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Comme si ces restrictions ne suffisaient pas, « Bibi » a placé des garde-fous. Avant toute chose, les Palestiniens doivent reconnaître Israël en tant qu’Etat juif. La reconnaissance par l’OLP en 1993 de l’existence d’Israël ne suffit plus. Le 1,5 million de Palestiniens d’Israël, soit 20 % de la population, doit renoncer à sa spécificité et se plier à la volonté « étatico-religieuse ». Il n’est pas non plus question de transiger sur le droit au retour.

Il n’y aura pas de reconnaissance de responsabilité dans l’expulsion et le déracinement de 760 000 Palestiniens en 1948, ni d’indemnisation ni de possibilité de réintégration. Il est totalement exclu de diviser Jérusalem, qui restera à jamais « la capitale unie » d’Israël. Quant à la colonisation, il est impossible de cesser de construire en zone occupée, car les colons font des enfants et qu’il est nécessaire de leur faire de la place. L’espace vital pour répondre à la croissance naturelle ne concerne pas les Palestiniens.

Pour les Palestiniens, « trop, c’est trop ». Pas question de recommencer des négociations ad vitam aeternam qui ne mènent à rien, d’autant que les règles du jeu sont fixées à l’avance. « Il faudra attendre mille ans pour que les Palestiniens acceptent de telles conditions », a ironisé Saeb Erakat, le principal négociateur palestinien. Il a caractérisé la situation par cette autre formule : « Le processus de paix avançait à l’allure d’une tortue. Cette fois, Nétanyahou a mis la tortue sur le dos. »



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