La situation au Proche-Orient risque-t-elle de se trouver à nouveau bloquée ? Certes, personne, ni en Israël, ni du côté palestinien, ne se risquerait à parler en ces termes. Et la « communauté internationale » ne cesse, depuis des mois, depuis l’élection du successeur d’Arafat, de se réjouir des pas en avant consentis par les deux parties. Mais si le dialogue a repris, il ressemble déjà fort à un disque rayé. Comme si les mêmes mots de la même rengaine se répétaient à l’envi depuis des semaines. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les exigences sécuritaires et les décisions unilatérales d’Ariel Sharon ne rencontrent guère les préoccupations de Mahmoud Abbas. Celui-ci a besoin d’avancées concrètes pour justifier sa politique de la main tendue. Et chacun sait que le temps presse quand, sur le terrain, l’accalmie reste pour le moins précaire, la situation toujours explosive.
La venue au pouvoir d’Abbas a pourtant ouvert de nouvelles perspectives pour une solution négociée du conflit. Les grandes capitales l’avaient en quelque sorte reconnu comme « leur » candidat. Il avait été reçu à Washington par George Bush himself au moment même où Yasser Arafat était prisonnier à Ramallah et le président américain lui avait promis son aide dans ses efforts de paix avec Israël. À la fin des années nonante, M. Sharon, à l’époque ministre du gouvernement Nétanyahou, avait rencontré M. Abbas alors qu’il refusait de serrer la main du raïs. En 2003, les deux Premiers ministres s’étaient rencontrés à plusieurs reprises et engagés à relancer la « feuille de route », le plan de paix international. Bref, Israël avait retrouvé un interlocuteur. Mais sans doute pas un interlocuteur à sa main.
Durant sa campagne électorale, Abbas avait, bien entendu, donné des gages à son peuple, concernant notamment le statut de Jérusalem comme capitale, le droit au retour des réfugiés ou le « mur de sécurité ». Au lendemain du scrutin, un de ses collaborateurs mettait en garde : « la balle est dans le camp des Israéliens. S’ils continuent à coloniser, à construire le mur et à nous agresser, alors tout s’effondrera ». Autant de déclarations qui ne cadrent pas avec l’agenda de Sharon et de ses alliés de Washington qui pressent l’Autorité palestinienne d’en finir avec les groupes armés. « Le principal défi est encore à venir. (Abbas) combattra-t-il les terroristes » s’interrogeait le vice-Premier ministre israélien Ehud Olmert.
Depuis, Ariel Sharon continue son cavalier seul avec son plan de retrait unilatéral de la bande de Gaza (territoire qui restera toutefois sous contrôle strict de l’armée israélienne). Une rupture radicale avec la politique traditionnelle de la droite israélienne, sans doute. Mais qui risque de renvoyer aux calendes grecques les questions incontournables pour aller vers une paix véritable : les frontières de l’Etat palestinien, la question des réfugiés, le statut de Jérusalem… L’évolution des choses semble plutôt confirmer que M. Sharon entend bien poursuivre sa politique du fait accompli.
1. La stratégie de Sharon
Le Premier ministre israélien est un redoutable stratège. Il n’ignore pas la lassitude de son peuple qui paie très cher le prix de la guerre d’occupation. Ni la montée en puissance des pressions internationales pour un règlement du conflit. Il a lui-même déclaré à plusieurs reprises que le statu quo est sans avenir et que, corollairement, les Palestiniens ont droit à un Etat. Mais le « plan de désengagement » va-t-il dans ce sens ? Evoqué voici un an, présenté officiellement à la fin juin 2004, avant donc la mort d’Arafat, ce document disait alors la conviction de l’Etat d’Israël que « c’est à lui d’agir pour l’amélioration de la situation » car « il n’a pas de partenaire palestinien avec qui il pourrait faire progresser le processus de paix de façon bilatérale ». Il édicte ensuite que « dans tout règlement définitif futur, il n’y aura pas de peuplement juif dans la bande de Gaza » ; que « le soutien international est essentiel pour que les Palestiniens puissent effectuer ce qui est attendu de leur part en matière de lutte contre le terrorisme et de réformes, conformément à la ’feuille de route’ ». Qu’à ce moment seulement « il sera possible de reprendre le chemin du dialogue et des négociations ». Mais, outre cette approche sécuritaire unilatérale, il contient aussi bien d’autres éléments.
2. Faits accomplis
D’abord, Gaza doit rester cadenassée, privée d’autonomie véritable durant un temps indéfini puisqu’Israël « contrôlera et préservera le périmètre terrestre extérieur de la bande, dominera de façon exclusive l’espace aérien de Gaza et continuera son activité militaire dans le territoire maritime de la bande » qui devra être « démilitarisée ».
Mais ce plan concerne également l’avenir de la Cisjordanie (ou Judée-Samarie pour Israël). Il est certes question d’y faciliter « le mode de vie des Palestiniens ainsi que l’activité économique et commerciale » ainsi que les « infrastructures de transport en vue de permettre une continuité des transports palestiniens ». Mais il stipule aussi : « Il est évident qu’en Judée et en Samarie, certaines zones feront partie intégrante de l’Etat d’Israël, notamment d’importants blocs de peuplement juif, des villes, villages et des zones de sécurité, ainsi que des lieux dans lesquels l’Etat d’Israël a des connections importantes ». Enfin, Israël « poursuivra la construction de la clôture de sécurité ».
3. Appui américain
C’est bien tout cela qu’appuie vigoureusement le président Bush depuis le début. Un addendum au plan de désengagement énumérait ainsi, dès le 14 avril 2004, les garanties données à Sharon par les Etats-Unis : « éradication des organisations terroristes » et « réformes globales au sein de l’autorité palestinienne » sont des préalables à tout processus politique ; il n’est pas question d’un retour de réfugiés palestiniens en Israël ; Ni d’un retour aux frontières de 1967 « en vertu de deux considérations principales : les blocs de peuplement israéliens et l’application de ’frontières défendables’ » ; d’ailleurs, « les grands blocs de peuplement resteront en Israël ». En contre-partie, « Israël a pris un certain nombre d’engagements concernant le démantèlement des points de peuplements sauvages, les limitations de l’extension des peuplements, etc. ». Il y a plus d’un an, l’essentiel était acquis à Ariel Sharon...
4. Consensus total
Il n’est sans doute pas inutile de rappeler une fois de plus que le retrait unilatéral de Gaza et de quatre colonies du Nord de la Cisjordanie n’a aucun rapport avec la feuille de route, même si, de concert, Tel Aviv et Washington y voient un certain nombre de conditions à la reprise des négociations. Le consensus était donc quasi-total entre les deux alliés avant le voyage de Sharon chez Bush. À l’issue duquel le leader israélien a été très clair sur ses intentions : « La position israélienne (reste) que les grands centres de population israéliens resteront aux mains d’Israël dans le cadre de tout accord sur le statut final, avec toutes les conséquences que cela implique ». Il pouvait bien dès lors donner (une fois de plus) quelques gages concernant les « implantations illégales ». Ce qui compte, c’est que Bush a répété qu’il considère « irréaliste » le retour aux frontières d’avant l’occupation en raison de « nouvelles réalités sur le terrain ». Soit « l’existence de centres majeurs de population israéliens ». Fort de ce soutien sans fard à sa politique du fait accompli — poursuite de la colonisation et nouvelle amputation du territoire promis aux Palestiniens — Israël se réserve donc le droit d’agrandir les implantations.
5. Nouvelles colonies
Certes, les Etats-Unis, dans leur souhait d’améliorer leurs relations avec les capitales arabes, ne peuvent pas officiellement donner leur feu vert à cette politique. Mais ils ne s’engagent guère quand ils affirment que rien ne pourra être imposé sans négociations avec la partie palestinienne. Bush partage avec Sharon l’idée que le retour à une « feuille de route » singulièrement flétrie ne pourra se faire avant que « les Palestiniens aient livré une véritable guerre contre le terrorisme et le démantèlement de ses structures ». Ce qui semble tenir pour rien la décision du Hamas de suspendre pour une longue période ses opérations armées.
D’autre part, le porte-parole de Sharon n’entrevoit évidemment pas d’Etat palestinien en 2005, et « peut-être même pas en 2006 ». Bush a parlé de 2009. Avni Pazner a donc rappelé les engagements pris par Washington en avril 2004. et affirmé que « c’est dans ce cadre qu’a été prise la décision » de construire 3500 nouveaux logements entre Jérusalem-est et la colonie de Maalé Adoumim. Selon le mouvement La Paix maintenant, des milliers d’autres logements sont en cours de construction en Cisjordanie ou prévus dans la vieille ville de Jérusalem.
6. Une mini-Palestine ?
Ainsi se dessine avec netteté la stratégie liée au retrait de Gaza. En annexant les colonies et en poursuivant la construction du mur, Israël entend capter définitivement une bonne partie des terres palestiniennes les plus fertiles et les puits qu’elles contiennent. Il s’agit aussi de réduire un futur Etat palestinien à la portion congrue, privée de souveraineté par le cadenassage de ses frontières et maintenu en situation de dépendance économique. L’évolution des choses donne une résonance particulière aux propos tenus par Dov Weisglass, un intime de Sharon, en octobre dernier : « La signification de ce plan de désengagement est le gel du processus de paix. Et quand vous gelez ce processus, vous évitez l’établissement d’un Etat palestinien, et vous évitez la discussion sur les réfugiés, les frontières et Jérusalem. » Washington n’avait guère réagi. Que pensent maintenant les autres membres du « quartet » garants de la « feuille de route », la Russie, l’ONU et l’Europe ? Vont-ils laisser face à face les Palestiniens et un gouvernement israélien dont l’arrogance et les ambitions se nourrissent du soutien quasi sans faille de George Bush ?
« Sharon ne peut donner aux Arabes ce que Dieu a donné aux Juifs »
Fracture en israël. Malgré le soutien de Washington, Sharon doit faire face au risque de chaos au sein même de son pays. Bien plus que les pacifistes, ce sont ceux qui l’ont porté au pouvoir qu’il devra maintenant affronter : les colons et les extrémistes ultra religieux et d’extrême droite opposé à toute concession à l’ennemi arabe. Un de ceux-ci estimait récemment, au cours d’une manifestation devant la Knesset que « Sharon ne peut donner aux Arabes ce que Dieu a donné aux Juifs ». Des rabbins nationalistes ont appelé les militaires chargés d’évacuer les colonies à la désobéissance. « Si Sharon pense pouvoir appliquer son plan de désengagement, il rêve » a expliqué Emilie Amroussi, porte-parole du Conseil des implantations de Judée-Samarie.
Israël, emplois interdits. Le chef d’état-major de l’armée israélienne, Moshé Yaalon, a annoncé la décision « irrévocable et stratégique » de fermer le marché du travail israélien aux Palestiniens, en « réponse aux quatre ans et demi de violence organisée qui nous ont été imposés. » Une fois fermées les colonies dans Gaza, les points de passage avec l’Etat hébreux seront fermés. Il en ira de même avec la Cisjordanie après la construction du mur. Avant la seconde intifada, plus 150 000 Palestiniens travaillaient en Israël
La Cisjordanie, une poubelle ? Israël a décidé de transférer en Cisjordanie quelque 10 000 tonnes d’ordures par mois produites surtout dans la région de Tel-Aviv et la plaine du Saron. Une décision illégale au regard du droit international. Et qui risque d’entraîner de graves problèmes de pollution, notamment de la nappe phréatique. Selon le quotidien Haaretz, les travaux de préparation ont déjà commencé.