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L’impasse afghane

par Maurice Magis, septembre 2009

L’impasse afghane

Les élections présidentielle et provinciales en Afghanistan ont été en général « bonnes et équitables », mais « pas libres » dans certaines parties du pays, a indiqué le chef de la mission d’observation de l’Union européenne, Philippe Morillon.

« Les élections n’ont pas été libres dans certaines parties du pays en raison de la terreur qui règne dans ces régions », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Kaboul. « Ce que nous avons observé en général a été jugé bon et équitable par nos observateurs, et avec notre méthodologie ». La mission d’observation de l’UE en Afghanistan a qualifié ces élections de « progrès notable », dans un communiqué présentant les conclusions de ses rapports préliminaires. Elle a par ailleurs indiqué que la participation avait été « considérablement plus élevée dans le nord du pays et particulièrement basse dans le sud » et qu’en dépit d’une série d’incidents violents, « les citoyens Afghans sont venus voter ».

Pourtant, la présidence suédoise de l’Union européenne s’est dite préoccupée par des rapports « faisant état d’irrégularités et de fraudes ». Au demeurant, huit ans d’occupation occidentale par l’OTAN n’ont permis aucune victoire sur les talibans. Pis, ces derniers ont regagné une bonne partie du terrain perdu en 2001. « Les talibans ont pris le dessus dans le pays », reconnaissait, il y a quelques jours, le général américain McChrystal. En écho à ce constat d’échec émis par le patron des forces étrangères en Afghanistan, Kaboul, la capitale donnée comme l’une des villes les plus sécurisées, est le théâtre quotidien de violents attentats aux cibles les plus symboliques : les quartiers de l’OTAN, un convoi transportant des troupes de la coalition internationale, une attaque de banque au cœur de la cité…

Une situation de cauchemar qui rend dérisoires toutes ces odes à la « démocratie » en Afghanistan, alors que 300 000 hommes au total des forces de sécurité afghanes et étrangères sont mobilisés.

Huit ans d’occupation occidentale pour un tel désastre méritent bien que l’on s’interroge sur ses causes et les choix que devront désormais affronter les pays occidentaux qui sont engagés dans cette guerre américaine. À l’heure où les opinions publiques des pays de l’Alliance atlantique se font de plus en plus réticentes sur la poursuite d’un engagement armé, il faudra bien que les dirigeants de ces pays en tiennent compte et recherchent une réelle alternative autre que l’envoi d’armadas de plus en plus meurtrières et provocantes aux yeux du peuple afghan.

Rester ou se retirer, est-ce réellement un dilemme comme semblaient hier l’avancer certains commentateurs ? Au risque de reprendre les accents de croisade dans la défense du « monde libre et civilisé » chers à George W. Bush. « Je ne cesse de répéter qu’il est illusoire de penser que ce sont avant tout les forces militaires qui peuvent réussir à mettre fin au conflit. Ce sont les efforts politiques qui doivent être en tête de notre agenda », soulignait Kai Eide, représentant spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’Afghanistan, dans un entretien avec le Centre d’actualités de l’ONU en juillet dernier. Et en allant dans ce sens, n’est-il pas indispensable que les Nations unies reprennent la main en Afghanistan, au lieu de laisser à Washington l’entière gestion du conflit qui reste avant tout au service de ses ambitions.

Depuis trente ans, le pays est au centre d’enjeux mondiaux. « Je ne me souviens pas d’avoir vu une région émerger si soudainement au point de devenir aussi importante stratégiquement que la Caspienne », affirmait l’ancien vice-président Dick Cheney dans un discours aux magnats du pétrole en 1998. En février de la même année, John Maresca, vice-président des relations internationales chez Unocal Corporation, expliquait comment transférer le pétrole du bassin de la Caspienne (estimé entre 110 milliards et 243 milliards de barils de brut d’une valeur de 4 billions de dollars) via l’Afghanistan ». Bush et ses alliés n’ont pas gagné leur pari, et Barak Obama, en appelant à une nouvelle escalade militaire, ne renonce pas au « rêve américain ». Les déclarations américaines se multiplient pour justifier ce choix : « guerre de nécessité » dit le nouvel élu, reprenant l’argument de son prédécesseur. La victoire « ne sera ni facile ni rapide », poursuit-il, ce que l’on pourrait traduire par « un projet d’une longue occupation », thème développé par l’émissaire américain en Afghanistan, Richard Holbrooke, lors d’une rencontre avec la presse le 12 août. Et dans ce cas les demandes du général McChrystal d’une rallonge de 10 000 à 20 000 hommes et l’envoi de nouvelles armes de haute technologie ne paraissent pas hors propos. Mais pour quelle victoire ?
« L’Afghanistan, c’est le Vietnam d’Obama », titrait en février le magazine Newsweek. Six mois plus tard, le quotidien Los Angeles Times publiait un entretien avec le secrétaire à la Défense. Robert Gates y soulignait l’importance de remporter des succès tangibles d’ici un an, si Washington veut éviter un enlisement comparable à celui vécu en Irak. « Après ce que nous y avons connu, personne n’est prêt à supporter une longue corvée dans laquelle nous n’aurions pas d’avancées visibles », rapportait l’ancien ministre de Bush.

Hamid Karzaï, du pétrole à la présidence

Hamid Karzaï demeure pour le moment le meilleur atout des États-Unis. Plus que tous les leaders afghans, l’actuel président est une vieille relation des stratèges de Washington. Il quitte l’Afghanistan en 1970 pour suivre des études à l’étranger et revient au début des années quatre-vingt pour participer à la lutte contre les Soviétiques. Ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Rabbani, de 1992 à 1994, il démissionne, et se range aux côtés des talibans. Il débute peu après sa véritable carrière politique comme consultant d’Unocal, entreprise pétrolière et gazière californienne, alors que la compagnie concluait un accord avec les talibans pour la construction d’un pipeline à travers l’Afghanistan. Dans le même temps, il est « repéré » par Zalmay Khalilzad, un Afghan naturalisé aux États-Unis en 1984 et collaborateur de la RAND Corporation, un institut de recherche proche de l’administration Bush. Khalilzad fut ambassadeur des États-Unis en Afghanistan jusqu’en janvier dernier, et ce serait sur ses conseils que le département d’État a décidé de propulser Karzaï à la présidence de l’Afghanistan après la chute des talibans, en novembre 2001.

L’héritier d’une grande tribu pachtoune reste avant tout un homme de pouvoir et de clan s’appuyant sur les élites traditionnelles, fondamentalistes, et les seigneurs de guerre pour perdurer autant que faire se peut, quand bien même serait-il cantonné aux limites de la ville de Kaboul. Aucune concession vis-à-vis des tenants de l’islam le plus intégriste ne lui répugne. En 2006, il accepte le projet de rétablissement du département de la promotion de la vertu et de la prévention du vice - mis en place sous le régime taliban. Le président candidat vient de récidiver en ratifiant une loi controversée sur le statut des femmes chiites de la communauté Hazara. Celle-ci impose aux épouses « de satisfaire les pulsions sexuelles de leurs maris et de recevoir leur autorisation pour sortir de chez elles ».

Crimes de guerre aggravés. Malalai Joya, ancienne députée afghane, journaliste et essayiste, a lancé dans le quotidien britannique The Guardian, un terrible cri d’alarme  : en procédant à une escalade de la guerre en Afghanistan, le président US « trahira son propre message d’espoir et accroîtra la souffrance de mon peuple », et ce sera « la poursuite d’un crime de guerre contre mon pays ». En installant à Kaboul « des seigneurs de guerre et des trafiquants de drogue, les États-Unis et l’Otan nous ont jetés de la poêle à frire dans le feu, et Obama jette de l’huile sur ce feu ».

En 2009, la mission belge en Afghanistan coûtera 76 millions d’euros, soit 40,8 millions pour sa mise en œuvre et 34,7 millions pour le paiement de 485 soldats, selon des chiffres transmis par le ministère de la défense à la Cour des Comptes. Un rapide calcul permet donc d’estimer le coût d’un militaire belge mobilisé en Afghanistan à 156.700 euros, un sixième de ce que coûte un GI.

Deux millions de soldats américains ont été envoyés en Irak et en Afghanistan depuis le début de la guerre. Un sur cinq, soit 400 000 selon les estimations de spécialistes, est atteint d’une dépression, d’un « stress post-traumatique » (PTSD) ou d’une addiction. Mais peu d’entre eux décident d’en parler, de peur d’être perçus comme des « faibles » ou de compromettre leur carrière.

Aux Etats-Unis, les suicides de militaires ont doublé par rapport à 2004. Et le phénomène s’aggrave. De janvier à novembre, 140 soldats ont mis fin à leurs jours : treize de plus par rapport à la même période de 2008. On estime que les suicides vont atteindre un record en 2009.
L’armée se penche par ailleurs sur l’abus d’alcool, de drogue ou de médicaments, dont le taux est "plus élevé qu’il y a huit ans".



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