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L’espoir renaît à Beyrouth

Vers un retrait syrien du Liban ?

par Maurice Magis, mars 2005

Le meurtre de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri a relancé les pressions internationales pour amener la Syrie à cesser son occupation de fait du « Pays du Cèdre ». Qu’il ait trempé ou pas dans le meurtre, le pouvoir de Damas, déjà l’objet de fortes pressions internationales, voit ses positions fragilisées. À Beyrouth, l’opposition mobilise la population sur l’indépendance nationale.

S’il y a un sujet sur lequel les Européens ont les raisons légales de parler d’une seule voix avec les Etats-Unis, c’est l’avenir du Liban. Le 2 septembre 2004, une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies (1559) demandait aux « forces étrangères » (entendez celles de la Syrie) de se retirer du Pays du Cèdre, ainsi qu’à toutes les milices libanaises et non libanaises, de se dissoudre. Dans son discours de Bruxelles, le président Bush n’a fait, à cet égard en tout cas, que paraphraser l’ONU : « le régime syrien doit mettre un terme à son support aux organisations terroristes qui souhaitent détruire l’espoir de paix entre Israéliens et Palestiniens, la Syrie doit aussi mettre un terme à son occupation du Liban. »

Indépendamment du degré d’ouverture que certains veulent deviner en Bush II, de son appétence nouvelle — réelle ou supposée — pour le droit international, le multilatéralisme ou le recours privilégié à la diplomatie au détriment des politiques de force, le fait est là. Il est temps que la Syrie cesse l’occupation de fait de son petit voisin du sud. L’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri et les sévères protestations qui l’ont accompagné ont brutalement remis cette juste exigence à l’agenda international. Reste une question tout aussi essentielle : comment y arriver ? À quel prix ? Lors de leur récente rencontre à Bruxelles, Jacques Chirac et George Bush, les deux parrains de la résolution 1559, ont accentué la pression pour que Damas mette un terme à son protectorat armé et autorise la tenue d’élections libres au Liban. Ils l’ont fait, sans nul doute, avec l’aval des capitales européennes.

Le coupable idéal

La Syrie a-t-elle commandité le meurtre du leader sunnite ? Peu de Libanais en doutent et, dès le lendemain du drame, presque toute la presse internationale a montré du doigt le coupable idéal, tant l’occupation syrienne apparaît toujours plus insupportable à la population libanaise. Or, Hariri s’était rallié à une opposition qui considère le gouvernement comme une officine aux ordres de Damas.

Le régime syrien entretient au Liban une puissante force armée depuis pratiquement 30 ans. Au-delà des protestations de circonstances, il n’a guère eu à en pâtir durant toute cette période. Lorsqu’il a volé au secours des milices chrétiennes en 1976, ce fut à l’appel du président libanais de l’époque, et avec l’aval des Etats-Unis et de l’URSS. Israël y vit un élément de fragilisation des combattants palestiniens installés au Liban et se contenta, un temps, d’assurer ses avant-gardes dans le sud du pays. Washington, jusqu’à la seconde guerre d’Irak en 2003, ne s’est jamais inquiétée de cette mainmise « justifiée » par des considérations stratégiques. La Syrie considère le Liban comme une zone tampon face à Israël et n’a jamais hésité à supprimer les « obstacles » à sa suzeraineté, commanditant par exemple l’assassinat, en 1977, du leader du mouvement national libanais, Kamal Joumblatt.

La conversion d’Hariri

La fin de l’occupation est l’enjeu central des prochaines élections prévues en mai. Rafic Hariri devait en être un acteur central. Après avoir été longtemps dans les « petits papiers » des dirigeants syriens — c’est Hafez el Assad, le père de l’actuel président, qui l’a mis en selle à la fin de la guerre civile —, il a rejoint voici cinq mois l’opposition multiconfessionnelle dirigée par le leader druze Walid Joumblatt. Encouragé par la résolution de l’ONU, il a accusé le président Lahoud d’être le fantoche des Syriens. L’homme qui a été tué en plein campagne électorale paraissait aux yeux de beaucoup un des mieux placés pour mener l’opposition à la victoire et le pays à l’indépendance. Les Libanais semblaient avoir largement oublié que ce milliardaire en dollars géra, en son temps, le pays comme une société privée (raflant le marché de la reconstruction du pays après la guerre civile et plongeant une bonne partie de la population dans la précarité). Les ennemis d’hier s’étaient ainsi regroupés sous les couleurs de Hariri et de Joumblatt dans une large coalition où se retrouvent chrétiens maronites, druzes, sunnites et une partie des chiites. Même l’ancien putschiste réfugié en France, le général Aoun, ennemi mortel d’Hariri, négociait son soutien. Au bout du compte, seul le Hezbollah, parti chiite puissamment installé dans le sud et la plaine de la Bekaa, se tient pour l’instant à l’écart et observe. En bons termes avec Damas, le « parti des déshérités » a toutefois condamné le meurtre de Rafic Hariri et participé au deuil populaire.

« Etat-voyou »

Il est donc clair que la disparition d’un élément capable de fortifier un front large, mais fragile, essentiellement uni autour du slogan « les Syriens dehors », n’a guère provoqué de tristesse dans l’entourage de Bachar el Hassad. Mais très certainement une vive inquiétude. Le meurtre de l‘ex-Premier permet à Washington d’alourdir la pression sur un Etat placé en bonne place sur la liste des « Etats voyous ». La Syrie a fait, avec l’Iran, l’objet des plus vives critiques dans le discours de Bush sur l’état de l’Union, début février. « Le gouvernement syrien n’est pas sur la voie d’une amélioration de ses relations avec nous » a décrété au lendemain du meurtre l’ambassadeur des Etats-Unis à Damas, accusée de laisser l’insurrection irakienne opérer au départ de son territoire et de soutenir le terrorisme international. Depuis mai 2004, le Syria Accountability Act, une loi déjà appliquée en partie, autorise l’Amérique, avide de remodeler la région en fonction de ses intérêts, à multiplier les sanctions contre la Syrie.

Dans ce climat, Damas aurait sans doute eu plus à perdre qu’à gagner en « supprimant » Hariri. Au Liban, malgré un impressionnant dispositif répressif, un énorme mouvement populaire a répondu à la double exigence de l’opposition d’un « soulèvement pour l’indépendance » et de la mise en place d’un gouvernement de transition. Contrairement à ce qui se serait passé en d’autres temps, Damas ne semble pas pouvoir s’opposer aux manifestations. Et le gouvernement libanais aux ordres a dû baisser sa garde en acceptant un débat parlementaire sur la situation du pays. « L’opposition va se servir (des élections) comme d’un référendum pour ou contre la présence syrienne et mettre en sourdine les querelles de partis. Cela va diviser le pays, mais je ne crois pas que cela aboutira à un conflit armé. Beaucoup d’hommes politiques sont en train de se désolidariser de la ligne dure du pouvoir » a affirmé Carlo Eddé, un vétéran de l’opposition à la tutelle syrienne.

Redéploiement syrien ?

En Syrie même, le régime se trouve dans une posture de plus en plus difficile. Et la population est légitimement inquiète. Comment le pouvoir va-t-il réagir ? D’une part, celui-ci a appelé à un « front uni » avec Téhéran pour répondre aux menaces américaines. D’autre part, il affirme chercher « l’entente et non l’affrontement » avec Washington. Selon le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, Damas et ses alliés libanais seraient prêts à en revenir aux accords de Taëf et donc à un calendrier pour un retrait de ses troupes. « Le président Al Assad l’a affirmé plus d’une fois, des mesures en ce sens vont être prises prochainement » a déclaré M. Moussa après avoir rencontré le président syrien. Celui-ci aurait aussi affirmé soutenir la participation d’une délégation de l’ONU à l’enquête sur le meurtre d’Hariri. Soixante intellectuels syriens ont demandé le retrait et « un assainissement des relations syro-libanaises sur la base de l’égalité, de l’indépendance et de la liberté de décision pour les deux peuples. » Mais la méfiance est énorme. Dans une interview au Monde, Walid Joumblatt a accusé le président syrien de vouloir « gagner du temps » et exigé « des élections libres, pas à l’ombre des baïonnettes syriennes. Le départ de ce régime laquais, un calendrier très précis concernant le retrait syrien du Liban. »

Accusé sans preuves, le régime syrien est désormais soumis à une énorme pression. Et face à un tout aussi énorme problème. Il a toujours lié la question de son retrait avec un règlement global de son conflit avec Israël, notamment avec la récupération du plateau du Golan, colonisé depuis 1967. Il est donc probable qu’il procèdera à un redéploiement de ses troupes avant les élections législatives libanaises tout en réclamant l’application des résolutions 242 et 338 de l’ONU qui exige de Tel-Aviv le retrait des territoires occupés. Il n’est pas sûr que cela suffira désormais à apaiser les tensions.


Une histoire lourde de drames

L’origine des malheurs du Liban plonge dans le traitement que les puissances occidentales ont réservé au Proche-Orient. Profitant de l’épuisement de l’Empire ottoman durant la Première guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne décident de se partager la région. Londres s’attribue les ressources pétrolières en traçant arbitrairement les frontières de l’Arabie saoudite, de l’Irak, de la Palestine… Paris se réserve le Grand Liban, qui regroupe la Syrie et le Liban actuel.

Le mandat français durera jusqu’en 1941. L’indépendance du Liban, proclamée en 1943, ne sera jamais admise par la Syrie dont la formule officielle pour résumer ses exigences est : « Deux Etats, un seul peuple ». Selon le « pacte national » alors mis en vigueur, le pays est d’emblée fractionné selon des clivages confessionnels : le président sera chrétien (maronite), le Premier ministre sera sunnite, le président du Parlement est chiite. Treize communautés sont ainsi invitées à coexister dans un cadre fermé et sur fond de querelles claniques.

En 1948, la création d’Israël provoquera l’exode de centaines de milliers de Palestiniens vers le Liban. Il y aura là en germes un autre facteur de déstabilisation.

En 1967, l’issue de la Guerre des six jours (défaite de l’Egypte et de la Syrie face à Israël) accroît les tensions dans un pays en proie à de lourdes inégalités sociales. Des affrontements sporadiques vont éclater entre armée libanaise et Phalanges chrétiennes, d’une part, forces progressistes et palestiniennes, d’autre part. Ils vont déboucher en 1975 sur une véritable guerre civile. En 1976, à l’appel du président Sarkis et avec l’aval des Etats-Unis, les Syriens interviennent en masse pour se porter au secours des miliciens chrétiens en difficulté. En février 1978, ceux-ci, ayant resserré leurs liens avec Israël, voulant se défaire de la tutelle syrienne, affrontent les troupes de Damas.

Israël envahit à son tour le Liban sud un mois plus tard. En 1982, Tsahal arrive aux portes de Beyrouth, affronte les Syriens. Ceux-ci subissent de lourdes pertes. Les milices maronites perpètrent des massacres à Sabra et Chatila, sous les yeux du général Ariel Sharon, venu chasser l’OLP du Pays du Cèdre. Face à la résistance, Israël se retirera sur une zone dite de sécurité dans le sud-Liban en 1985. Elle ne quittera le pays qu’en 2000.

La guerre civile, elle, ne s’achèvera qu’en 1989, avec la signature des accords de Taëf, co-parrainé par les Etats-Unis. En 1991, la Syrie et le Liban signent un « Traité de fraternité et de coopération » qui affermit la main mise syrienne sur le pays.

A l’époque, la Syrie (qui a soutenu la première Guerre du Golfe contre l’Irak) est dans les bonnes grâces des Etats-Unis. Elle s’appuie sur cette alliance pour contrôler son voisin, Etat tampon entre Damas et Tel-Aviv, enjeu stratégique pour exiger la restitution du Golan, occupé par les Israéliens depuis 1967.


La lourde main de Damas

Au printemps 1989, la guerre civile fait rage. Le général chrétien Aoun proclame la « guerre de libération nationale » contre les Syriens. Ceux-ci occupent alors les deux tiers du pays. Aoun est à la tête d’un… des deux gouvernements libanais, l’autre étant soutenu par la Syrie. Les deux camps se bombardent. Un blocus est imposé au « pays chrétien » par l’armée syrienne et ses alliés libanais. Les populations se terrent dans les abris. Détail piquant, on verra alors l’Irak de Saddam venir à l’aide du chrétien Aoun par opposition à l’ennemi syrien.

Sous la pression des grandes puissances et de la Ligue arabe, des accords de paix interlibanais sont signés en octobre dans la ville saoudienne de Taëf, un « document d’entente nationale » qui réaffirme la souveraineté, l’unité et l’indépendance du Liban, et l’identité arabe du pays. Le texte appelait au retrait des troupes d’occupation israéliennes, au démantèlement des milices et stipulait un rééquilibrage des institutions au bénéfice des musulmans. Mais il légitimait aussi la présence « fraternelle » des forces syriennes, évoquant toutefois leur retrait par étapes. « Un accord devra être conclu par les gouvernements concernant le contenu et la durée de la présence des forces syriennes (…) et pour définir les relations entre ces forces les autorités de l’Etat libanais (…) La Syrie ne devrait pas être autorisée à constituer une source de menace pour la sécurité du Liban, en aucune circonstances ».

Aoun refuse l’accord au prix d’une guerre entre milices chrétiennes, désormais divisées, et de nouveaux morts. Isolé, il devra s’exiler en France. Il est à noter que, inquiet de l’affirmation nationale libanaise, la Syrie fit en sorte que le conflit se prolonge en aidant matériellement Aoun, son ennemi juré. Avant le retour à une paix sous la tutelle.



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